Complément à Teilhard

Luc Ferry

Parmi nos contemporains, j’apprécie en particulier la contribution de Luc Ferry. Avec La Révolution de l’amour, un travail d’une érudition philosophique remarquable, Luc Ferry nous aide à relier la spiritualité et la philosophie en montrant que l’amour humain est une valeur transcendantale tout en demeurant laïque.

Selon cet auteur, une sorte de révolution tranquille a été lancée avec la vie de bohème. Depuis le siècle dernier, voire la deuxième moitié du siècle dernier, l’amour-passion et, conséquemment, le mariage d’amour sont possibles. Nous nous sommes libérés de la contrainte du mariage arrangé. L’amour, qui peut aussi prendre le visage de la tendresse, de l’amitié ou de la fraternité, s’ouvre de l’intimité vers la sphère publique.

Après avoir procédé à la déconstruction des valeurs traditionnelles, Luc Ferry avance que nous sommes à élaborer un deuxième humanisme, post-Kant et post-Nietzsche. La mondialisation et le capitalisme tempéré par l’État-providence étant des éléments de cette transformation. Le premier humanisme, qui coïncide avec la première mondialisation, est celui que nous a laissé le siècle des Lumières. Le deuxième humanisme, que Ferry qualifie de transcendance dans l’immanence, coïncide avec la deuxième mondialisation et nous fait découvrir le « réenchantement » du monde avec, au centre, la remise en évidence de l’amour humain. Transcendance dans l’immanence, puisque le sentiment d’amour m’amène vers l’autre, m’amène au dépassement tout en ayant son siège en moi.

La lecture de La révolution de l’amour est aussi un bon moyen de revoir l’Évolution des idées en philosophie depuis l’Antiquité. Pour l’époque plus moderne, Luc Ferry compte trois périodes :

i) l’humanisme des Lumières demandant la mise en place d’un contrat social exigeant  plus de liberté et incluant les droits de l’homme;
ii) la déconstruction, dont l’essentiel s’est produit au XXe siècle sous l’influence de Nietzsche;
iii) l’humanisme de l’amour et sa portée universelle.

Il nous rappelle aussi que l’amour n’élimine pas les autres valeurs : il les domine.
Luc Ferry utilise la vie de bohème et l’amour-passion comme éléments déclencheurs de l’élaboration d’un nouvel humanisme. Ce sont certainement des éléments importants, mais ce ne sont pas les seuls. À mon avis, l’Évolution vers ce deuxième humanisme est le résultat de plusieurs autres facteurs. Notons par exemple l’existentialisme, l’échec retentissant du communisme, la promotion de la femme, les avancées scientifiques et technologiques. Sans pécher par trop d’optimisme, l’avènement de ce deuxième humanisme me paraît, a posteriori, inévitable. Portée par des femmes et des hommes de bonne volonté, l’Évolution va en s’accélérant, comme l’a prophétisé Teilhard de Chardin.
Ce que j’aime aussi de ce livre, c’est le travail qu’a fait Ferry pour nous amener à la limite de la logique et, par conséquent, à la prise de conscience inévitable du mystère. Il dit qu’il est rationnel que la philosophie contienne de l’irrationnel. Le philosophe Karl Jaspers, autre grand penseur du XXe siècle, en était arrivé lui aussi à cette conclusion. Jeanne Hersch, professeure de philosophie, définit l’œuvre de Jaspers « comme étant une méditation rationnelle aux limites de la condition humaine ». Cette excursion dans le domaine de la transcendance ne permet cependant pas à Jaspers d’accepter le Dieu révélé. Il s’agira pour lui, à la limite, d’un dieu caché, d’un dieu philosophique.

 

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Teilhard de Chardin a donc l’appui virtuel de ces autres grands penseurs. Et ce qui est encore plus fascinant, à mes yeux, c’est la convergence de pensée vers les valeurs universelles. Nous verrons dans les pages qui suivent quelles sont ces valeurs et comment elles interagissent.

(Page enrichie le 27 juillet, 2020)

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