Mise à jour janvier 2023

Introduction

Ce site web a été lancé au printemps 2018. Bientôt cinq ans déjà! Plusieurs ouvrages pertinents, anciens et nouveaux, ont été consultés au cours de cette période. Ces ouvrages viennent enrichir et apporter un support additionnel à l’essai principal présenté sous l’onglet « Philosophie ». Le texte qui suit se veut une mise à jour avec la prise en compte de ces ouvrages et de l’expérience de vie qui se poursuit.

Étonnamment, cet exercice de mise à niveau nous fait remonter dans le temps à la philosophie du Christ.

Le Christ philosophe

Frédéric Lenoir[1] enseigne que les éléments importants qui résument la philosophie du Christ sont : égalité, liberté de l’individu, l’émancipation de la femme, la justice sociale, la séparation des pouvoirs entre domaines religieux et politique, la non-violence, le pardon et finalement l’amour du prochain. Mais le plus important, le Christ place l’amour au-dessus de toutes les lois.

Ce même auteur nous fait cheminer à travers les âges et montre comment la philosophie du Christ a survécu, à certaines époques, à son abandon par l’Église trop préoccupée à cultiver et préserver son pouvoir. J’ajouterais cependant que l’épreuve du temps et en particulier l’avancement des sciences humaines et physiques ont apporté des précisions à certains concepts et viennent enrichir la philosophie du Christ. Sur l’égalité, comment concilier égalité de tous les humains avec l’inégalité que nous retrouvons dans les compétitions sportives (saines) lesquelles enflamment les foules? André Comte-Sponville[2] répond qu’il faut tenir bon sur les deux plans : sur l’égalité en droit et en dignité et sur l’inégalité en fait et en valeur que justifie la compétition dans le sport, mais pas seulement dans le sport. Effectivement, cette distinction s’applique aussi dans l’économie où nous observons les jeux de stratégie et de compétition. Sur la liberté de l’individu, Jésus refuse l’idée d’un déterministe quelconque : « Il met en valeur dans tout son enseignement la liberté de choix de l’individu. »[3]. À propos de l’émancipation de la femme, dans nos sociétés modernes, des progrès importants ont été réalisés sur l’égalité des genres et la liberté de la femme. Ces progrès de la condition féminine se concrétisent de mieux en mieux avec l’aide des avancées scientifiques et technologiques. La régulation des naissances est l’exemple le plus pertinent à ce chapitre. Nous constatons malheureusement qu’il y a loin de la coupe aux lèvres dans l’atteinte de la parité homme – femme, dans bon nombre de pays notamment dans les sociétés de culture islamique. C’est avec indignation que nous observons présentement le retour en arrière imposé aux femmes par les talibans en Afghanistan. En ce qui concerne la justice sociale, celle-ci exige la nécessité du partage et la charité. En pratique, dans nos sociétés modernes cela signifie la redistribution de la richesse par un régime fiscal équitable. La non-violence est acquise comme principe de vie communautaire viable. Toutefois, au sujet de la non-violence, peut-il y avoir des exceptions? La seule exception me semble se trouver dans les situations de légitime défense. Au sujet du pardon, Il y a des pardons plus difficiles que d’autres. L’idéal du pardon est difficile à atteindre surtout vis-à-vis de ses ennemis. La recherche de résolutions des conflits dans le respect de l’autre par le dialogue et la négociation m’apparait déjà comme un pas immense dans la bonne direction. Finalement, l’amour du prochain ou ce « aimez-vous les uns les autres » est l’idéal qui l’emporte sur tous les autres.

Des penseurs de grande envergure et une période lumineuse dans l’histoire des idées ont contribué d’une manière hautement significative à la sauvegarde de la philosophie du Christ. Tout particulièrement, Thomas d’Aquin et Teilhard de Chardin ont induit des points d’inflexion des plus significatifs dans la courbe de la croissance de l’évolution des idées. Quant à la période lumineuse je pense évidemment au siècle des Lumières sans oublier son précurseur, Spinoza et l’apport subséquent de Kierkegaard.

Thomas d’Aquin (1225 – 1274)

Thomas d’Aquin a profité de la redécouverte des écrits des philosophes de l’antiquité grâce à la traduction en latin de ces écrits par des philosophes de culture arabe. Il entre ainsi en contact avec les œuvres d’Aristote au cours de ses études à l’université de Paris. Il a réalisé une œuvre de synthèse des plus remarquable entre l’aristotélisme et la tradition chrétienne. Nous pouvons, dit-il, utiliser la raison aussi loin que nous le voulons, mais à la limite nous aurons besoin du recourt à la foi. Ce faisant il construit une synthèse impressionnante des connaissances et des croyances de son temps. Il s’agit à mon sens d’un jalon d’envergure permettant un rapprochement entre la spiritualité et la philosophie. C’est ainsi que Thomas d’Aquin est un contributeur d’envergure à la sauvegarde de la philosophie du Christ.

Sa méthode rigoureuse de travail et la grande importance qu’il accorde à l’expérience ont fait de lui un précurseur de la méthode scientifique.

Baruch Spinoza (1632 – 1677)

Ce philosophe de culture juive et d’origine portugaise a vécu aux Pays-Bas où sa famille a dû se réfugier pour pouvoir conserver la pratique de la religion juive. Malgré cet environnement moins défavorable, il connut des persécutions autant de la part des catholiques que des juifs. Il eut même à subir l’expulsion de sa communauté. Dans un tel contexte, il a choisi de mener une vie simple et isolée pour pouvoir conserver sa liberté de penser.

Selon Frédéric Lenoir[4], Spinoza fut un précurseur des penseurs du siècle des Lumières. Grand spécialiste de la bible, il en a extrait les éléments rationnels suivants :

  • Il conçoit la nécessaire séparation des pouvoirs religieux et politiques;
  • Il prend ses distances avec la loi religieuse et reconnaît la primauté de la loi de la cité;
  • les régimes politiques doivent favoriser la liberté de l’individu;
  • la démocratie est un régime politique plus conforme aux aspirations fondamentales des individus que sont l’égalité et la liberté;
  • il préfère donc la démocratie à l’aristocratie et à la monarchie;
  • la politique doit gérer les conflits entre pauvres et riches, souverains et sujets, prêtre et roi;
  • Finalement, Spinoza ne voit pas de conflit entre la théologie et la philosophie.

Spinoza contribue donc, à sa manière, à la sauvegarde de la philosophie du Christ négligée par l’Église à une époque encore stigmatisée par l’Inquisition.

Le phénomène sociétal de l’inquisition qui fut un point fort de l’opposition antinomique entre : « le message révolutionnaire du Christ qui cherche à émanciper l’individu du poids du groupe et de la tradition en faisant de sa liberté de choix un absolu, et la pratique de l’institution ecclésiale qui en arrive à nier cette liberté intérieure pour sauvegarder les intérêts du groupe et de la tradition »[5].

Le siècle des Lumières

Le siècle des Lumières est un mouvement philosophique, littéraire et culturel bourgeois que connaît l’Europe au XVIIIe  siècle (de 1715 à 1789) et qui se propose de promouvoir le rationalisme, l’individualisme et le libéralisme[6]. Le coup d’envoi de cette nouvelle philosophie est donné par Kant (1724 – 1804) : « Aie le courage de te servir de ton propre entendement! Voilà la devise des Lumières ».[7] La libération de la connaissance ouvre la voie en direction de la liberté de conscience et de la liberté de penser. L’être humain doit être accepté tel qu’il est et non ce qu’il devrait être comme le voulaient les détenteurs des pouvoirs religieux et civils lesquels à l’époque étaient amalgamés, dans la grande majorité des cas. Ce même Kant nous a aussi laissé ce qu’il qualifie d’impératif catégorique : « Agis de sorte que la maxime de ta volonté puisse aussi servir en tout temps de principe pour une législation universelle. »[8] Ce lien de l’individu avec l’humanité tout entière met en scène les notions de responsabilité et de devoir. Nous verrons plus loin comment Luc Ferry adapte cette maxime de Kant à la pensée contemporaine.

Il y a donc lieu, comme le préconisait Spinoza, d’instituer un « contrat social » incluant la démocratie. Ce nouveau contrat social aura aussi pour effet d’exiger la séparation entre les pouvoirs religieux et civil. C’est ainsi que le siècle des Lumières contribue à la sauvegarde, voire même à la promotion de la philosophie du Christ.

Sören Kierkegaard (1813 – 1855)

Sören Kierkegaard est un philosophe danois indépendant de fortune grâce à l’héritage de son père, un homme d’affaires ayant bien réussi. Il a donc été possible pour Kierkegaard de consacrer beaucoup de temps à la réflexion et à l’écriture.

Sören Kierkegaard est de l’école de l’existentialisme tout en demeurant chrétien. À la recherche de l’absolu, sa philosophie n’a pas la raison comme élément central. Pour lui, être chrétien consiste à mettre l’individu seul en lien avec Dieu. Il ne peut y avoir d’intermédiaire entre le chrétien véritable et Dieu. Cet état philosophique est indépendant d’une adhésion, quelle qu’elle soit, à une institution religieuse. Il s’en suit que Kierkegaard adopte une position très critique à l’endroit de l’Église (protestante) danoise officielle.

Avec ce retour à l’aspect le plus authentique de la philosophie du Christ, avec en filigrane la liberté individuelle et la séparation de l’Église et de l’État danois, l’œuvre de Kierkegaard se situe parfaitement dans le prolongement de l’apport des philosophes du siècle des Lumières.

Pierre Teilhard de Chardin (1881 – 1955)

Le lecteur peut trouver sous l’onglet « Philosophie » un sommaire de la biographie et de l’œuvre maîtresse de Teilhard de Chardin[9]. Compte tenu de l’apport essentiel de Teilhard et aux fins de ne pas briser le fil conducteur de la mise à jour ici présentée, je retiens de l’apport de Teilhard les éléments essentiels suivants :

L’Amour – énergie : « L’Amour est la plus universelle, la plus formidable, et la plus mystérieuse des énergies cosmiques. » Avec cette définition, Teilhard place l’amour au centre de l’activité humaine et ouvre la porte à la spiritualité.

Le principe de complexité – conscience : depuis le Big Bang, à mesure que l’énergie se transforme en matière et que la nature se complexifie, de l’atome à la molécule à la cellule, aux êtres multicellulaires et à l’hominisation, à homo sapiens, la conscience grandit. Elle atteint chez l’humain sa prise de conscience d’être; l’animal sait alors que l’homme sait qu’il sait. En se projetant dans l’avenir cette conscience poursuit sa croissance jusqu’à l’apparition à la surface de la Terre, d’une nappe pensante que Teilhard nomme la Noosphère.

La contribution des humains à l’Évolution : pour la suite du monde, les humains se doivent de mettre l’épaule à la roue. Voir ou périr. Telle est la situation, imposée par le don mystérieux de l’existence, à tout ce qui est élément de l’univers selon Teilhard.

La mise en œuvre de ces trois éléments essentiels de l’œuvre de Teilhard ne peut se réaliser sans le mariage de la religion et de la science pour les croyants pratiquants, ou sans le mariage de la spiritualité avec la science pour les non-croyants.

Tout comme Thomas D’Aquin qui à son époque réalise « une synthèse entre l’aristotélisme et la tradition chrétienne »[10] Teilhard nous fait la démonstration que science et religion ou science et spiritualité se conjuguent. Cette réconciliation n’est pas ordinaire, elle est faite avec brio par un jésuite possédant une érudition hors du commun.

L’Évolution peut donc se poursuivre voire même s’accélérer puisqu’elle a à son actif cette formidable synthèse entre philosophie, science et spiritualité. De plus, le tout actualise admirablement bien la philosophie du Christ dont l’élément premier est l’amour.

Complément à Teilhard

Sous l’onglet « Philosophie » à la Section « Complément à Teilhard » nous avons vu comment les œuvres de grands penseurs comme Einstein, Bergson, Jacquard, Trinh Xuan Thuan, Ilya Prigogine, Rusbehan et Luc Ferry contiennent des éléments de complémentarité à la pensée de Teilhard. J’aimerais ajouter à cette liste déjà impressionnante les auteurs suivants :

Yuval Noah Harari (1976 –     )

Un résumé des ouvrages de Harari : Sapiens, Homo deus et 21 leçons pour le XXIe siècle et des réflexions qu’il suscite se trouve sous l’onglet « Réflexions » à la Section « Harari ». Aux fins de la présente mise à jour, je retiens les éléments suivants de complémentarité à la pensée Teilhard :

  • Harari nous montre comment s’est amorcée et développée l’unification de l’humanité encore en voie de réalisation de nos jours; ceci est une constatation en conformité avec la formation de la noosphère selon Teilhard;
  • ainsi l’humanité est « un », vue à très long terme par Teilhard et à moyen terme par Harari;
  • nous sommes tous membres d’une même Civilisation. La science, l’art, la monnaie et le commerce international en sont des manifestations les plus vraies;
  • l’avenir de l’humanité est entre nos mains; chercher à voir plus et mieux n’est donc pas une fantaisie, une curiosité, un luxe, mais une nécessité;
  • Harari propose de faire en sorte que la conscience l’emporte sur l’intelligence. Une opinion conforme au principe de complexité – conscience chez Teilhard;
  • devant tous ces défis Harari nous met en garde de protéger, à tout le moins, les droits de l’homme;
  • Harari et Teilhard croient à une forme de complémentarité entre tous les efforts de recherche en sciences physiques et humaines;
  • l’amour est un moyen sûr de donner un sens à sa vie.

Carl Gustav Jung (1875 – 1961)

Carl Gustave Jung est considéré comme l’un des pères de la psychanalyse et dont l’œuvre créatrice, s’est étendue au-delà de la médecine. Frédéric Lenoir avec son dernier livre sur Jung[11] nous guide dans la redécouverte de celui qui fut l’un des plus grands penseurs du XXe siècle. Aux fins du rapprochement que je me propose de faire avec l’œuvre de Teilhard je retiens du livre de Lenoir les éléments importants tels que résumés dans les paragraphes suivants.

Il a redéfini la notion freudienne de libido en élan vital (sous l’influence de Bergson) plutôt que seulement une pulsion sexuelle. Il découvre ainsi la richesse et les propriétés créatrices de l’inconscience. Il propose l’existence d’un inconscient collectif.

Il s’intéresse à la psychologie qui lui semble être « le lieu où la rencontre de la nature et de l’esprit devenait réalité. »[12]

Il était contemporain de Teilhard et connaissait ses ouvrages qu’il a lus et qui l’enthousiasmaient.

Jung par ses recherches au plus profond de l’inconscience ne contredit en rien la loi de complexité – conscience chez Teilhard.

Jung dit que l’homme est indispensable à la perfection de la création, que plus encore, il est lui-même le second créateur du monde. Cette pensée rejoint bien celle de Teilhard qui voit l’homme, non pas comme centre statique du Monde comme il s’est cru longtemps, mais comme axe et flèche de l’Évolution.

Il affirme : « S’il n’est pas possible d’apporter une preuve valable au sujet d’une survie de l’âme après la mort, il y a cependant des évènements qui donnent à penser…»[13]

Jung se reconnaît dans le message éthique de l’Évangile basé sur l’amour du prochain. Il se dit donc chrétien, mais non catholique et non protestant. Il est même critique à l’endroit des religions traditionnelles. Il trouve le catholicisme trop rigide. Nous savons que Teilhard s’est buté à cette rigidité qui a conduit au refus de la publication de son œuvre maîtresse.

Selon lui, le sens provient de la totalité de l’âme. Autrement dit, le sens provient de la coopération du conscient et de l’inconscient, ce que Jung appelle : l’« expression mythique ». « Dès lors la connaissance de soi et le travail intérieur ne visent plus seulement à guérir d’une névrose, mais à se réaliser en tant qu’être humain. »[14]

Il affirme qu’une méthode purement logique ne peut rendre compte de la complexité du réel. « Qu’on le veuille ou non, la question du divin s’impose », nous dit Jung.

Jung et Wolfgang Pauli (1900 – 1958) prix Nobel 1945, ont formulé l’hypothèse selon laquelle le psychisme et la matière, l’interne et l’externe, l’homme et la nature seraient reliés au sein d’une unité indifférenciée, dans un perpétuel mouvement de coopération.

Voici donc plusieurs éléments qui relient la pensée de Jung à celle de Teilhard. C’est cependant, et tout particulièrement, ce dernier élément mettant en cause la physique quantique de Pauli qui illustre le mieux ce rapprochement. L’interconnexion constante entre psychisme et matière chez Jung se rapproche de l’atomisation de l’esprit et de l’interdépendance du dedans (l’esprit) et du dehors (la matière) des choses chez Teilhard. De la part de Jung il y a donc un important renforcement de la pensée de Teilhard.

Boris Cyrulnik et Edgar Morin

Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et Edgar Morin philosophe et anthropo-sociologue[15], proposent un dialogue sur la nature humaine. Un résumé et une appréciation de ce dialogue sont présentés sous l’onglet « Réflexions » à la Section Cyrulnik.

Comme éléments importants relatifs à la présente mise à jour, je retiens ceci :

Ce dialogue d’une grande richesse, entre messieurs Cyrulnik et Morin, montre comment doit se conjuguer l’intériorité avec l’extériorité de l’être humain.

La culture scientifique poussée en avant par sa méthode a comme conséquence une sorte d’isolement des domaines de recherche. Des efforts de synthèse sont nécessaires de temps à autre pour mieux nous orienter.

Les auteurs affirment aussi que l’évolution de la pensée ne peut se réaliser sans faire une place aux émotions, aux sentiments donc à l’irrationnel et ce dans un contexte de liberté et d’autonomie nécessaires à la créativité.

L’esprit humain et son corolaire la conscience, demeurent énigmatiques. Il y aurait lieu de développer des projets de recherche dans ce domaine. Harari arrive à cette même constatation. Dans un autre ouvrage, Boris Cyrulnik[16]  se demande s’il n’y aurait pas lieu d’inclure la spiritualité dans ces recherches.

Ce que nous sommes est le résultat d’une lente évolution amorcée il y a des millions d’années. Évolution vers plus de complexité et plus de conscience comme le propose la loi ce complexité – conscience de Teilhard.

L’unité dans la diversité est un projet de grande envergure beaucoup plus réaliste que la recherche de l’homogénéité. La diversité culturelle tout comme la diversité du vivant est un enrichissement nécessaire à la réussite de la noosphère.

Difficile d’éviter l’angoisse lorsqu’on entreprend une réflexion sur la nature humaine, puisque cette réflexion peut nous mener vers toutes sortes de directions. « L’ordre naît du chaos » nous dit Ilya Prigogine.[17] L’angoisse apparaît alors comme inévitable et n’est supportable qu’avec l’esprit communautaire et l’amour.

Denis Marquet

Intéressant aussi de prendre en compte une relecture du Nouveau Testament par un expert contemporain. C’est ce que nous propose Denis Marquet écrivain, philosophe, thérapeute et certainement grand croyant. Ci-après, dans un premier temps nous résumons sommairement le fruit de cette relecture que nous retrouvons dans deux ouvrages de cet auteur[18] [19]; ensuite, nous discutons de l’éclairage que peuvent nous apporter ces ouvrages.

Selon Denis Marquet, à la base, le message du Christ est le suivant : nous sommes la courroie de transmission entre Dieu et tous nos frères et sœurs les humains.  Pour réussir ce tour de force, il nous faut oublier le « moi » qui est l’abîme entre notre nature véritable et notre condition humaine. « Ce que nous désignons par « moi », notre personnalité, notre caractère, tout cela est un système de défense. ». « Je reçois l’infini de manière finie. Telle est la raison de la brèche entre notre nature et notre condition. » « Si je renonce à me prétendre fondement et origine de tout alors, je peux devenir source de grâce. » L’amour infini qui crée notre être nous est alors offert sur un plateau d’argent. Faire valoir les enseignements du Christ signifie aussi savoir qui je suis, qui nous sommes, comment devenir pleinement qui nous sommes, et ce, en dehors des dogmes et religions.

Pour réussir la mise en pratique de la philosophie du Christ, il faut la confronter à l’expérience comme dans la méthode scientifique. « La foi, tel que l’enseigne le Christ, n’est donc en rien croyance ni adhésion à des dogmes; elle n’est pas acte intellectuel, mais attitude existentielle. »[20]

L’auteur ajoute que chercher à comprendre le message du Christ est donc un projet de recherche d’envergure infini. Il nous faut chercher le désir juste (viser juste) (désirer sans limites) vivre en dehors de toute peine de tout manque, rétablir un ordre juste des priorités.[21] Notre désir brûlant de l’infini est notre seul lien à l’infini divin. La philosophie du Christ est destinée aux amoureux de l’intensité, aux amants du vivant.

Depuis le siècle des Lumières, s’effectue de plus en plus le rejet des autorités de sens. Cet avancé philosophique redonne à chacun, lentement mais sûrement, la liberté de sa propre quête du sens.

Le cheminement qui est le mien m’a amené à élaborer une philosophie qui d’une certaine manière est le chemin inverse que celui proposé par Denis Marquet. Je qualifierais l’approche de Marquet de « top – bottom » ; tout commence avec l’amour de Dieu à notre égard alors que mon approche est plutôt « bottom – top » pour se terminer au point Oméga de Teilhard si j’y arrive un jour. Car c’est dans le jardin de l’amour humain que se cultive l’amour divin et non l’inverse. Il y a donc, selon moi, une hiérarchie dans notre capacité d’aimer. À partir du plus humain jusqu’au plus divin, nous avons : l’amitié; l’amour d’amitié (selon Frédéric Lenoir); l’amour dans le couple; la filiation de type familial ou clanique; l’enracinement dans sa culture; l’amour valeur transcendantale dans l’immanence (selon Luc Ferry); le prochain niveau étant la prise de conscience que cet amour est un élément actif dans la Noosphère, cette nappe pensante sur la Terre; enfin, pour les croyants, apparaît, en suivant les traces de Teilhard, l’Amour devenu valeur transcendantale. « Plus une affection est spirituelle, moins elle absorbe, – et plus elle pousse à l’action » et, plus grande sera la noblesse de la tâche.[22]

Marquet affirme qu’il ne s’agit pas de croire, mais d’expérimenter pour vivre correctement la philosophie du Christ. J’aime bien l’idée qu’il s’agit d’expérimenter plutôt que de simplement croire. Plus loin cependant dans le texte, Marquet nous dit que la grâce est donnée à ceux qui ont la foi en Dieu. Doit-on voir ici une contradiction?

Chaque être humain est unique et irremplaçable et est un élément de l’ensemble des humains. Chaque humain manifeste son unicité par sa créativité. Sur ce point, Marquet et Teilhard disent la même chose. Il y a cependant une grande différence entre la thèse de Marquet et celle de Teilhard. Marquet écarte la science (bien qu’il applique la méthode scientifique pour expérimenter correctement la philosophie du Christ) alors que Teilhard a travaillé au rapprochement entre la science et le christianisme. Selon Teilhard, l’homme s’inscrit dans l’évolution depuis le Big Bang jusqu’au Point Oméga. L’arrivée de l’humain pensant s’explique par la loi de complexité – conscience. Plus l’organisation de la matière se complexifie plus grande est la conscience. Le passage de la matière inerte à la matière vivante à l’apparition des phénomènes sociaux s’accompagne d’un accroissement de conscience.

Je suis d’avis que la spiritualité commence à la frontière entre la science et le mystère. Cela évite toute forme de fabulation. Les humains ont ce pouvoir de créer et tout particulièrement ils ont beaucoup d’imagination. L’historien Noah Harari[23], nous rapporte que depuis fort longtemps depuis aussi loin que 70 000 ans avant notre ère, non seulement Homo Sapiens est-il capable d’imaginations, il est capable de communiquer ces abstractions. Il propose même que ce soit ainsi qu’est née l’idée de Dieu pour permettre aux humains d’apaiser leur crainte de la mort et leur recherche du bonheur?

Nous pouvons conclure de l’apport de Denis Marquet à la thèse proposée sur ce site et élaborée sous l’onglet « Philosophie » que deux points de vue différents finissent tout de même par regarder dans la même direction : Marquet, grand croyant, place l’amour en Dieu et Dieu en nous. L’agnostique que je suis chemine de l’amour humain vers l’amour aux confins de l’immanence et de la transcendance.

Jean Proulx

Notre réflexion sur la complémentarité entre science et spiritualité se trouve à la section du même nom sous l’onglet « Réflexions ». La pensée de Jean Proulx nous amène un peu plus loin sur des chemins insoupçonnés. Voyons voir.

Jean Proulx, philosophe, théologien, professeur et conseiller auprès du ministère de l’Éducation du Québec, nous dirige à sa manière, aux confins de la physique, de la philosophie et de la mystique. [24]

Pour apprécier la pensée de Jean Proulx il nous faut accepter, quelques instants, de faire un pas de côté et nous aventurer sur les chemins de la poésie et de la science-fiction. C’est sur ces chemins, portés par la sensibilité et l’intuition, que la créativité se met en action. C’est sur ces mêmes chemins que les plus grands penseurs sont à la recherche des lois qui gouvernent l’univers. Notre univers, selon Jean Proulx, serait habité par une pensée cohérente à découvrir. Cette pensée est mystique et s’harmonise avec la science et la philosophie.

« Physique, métaphysique et mystique nous ont montré un autre visage de l’univers. Cet univers est en substance, une énergie de liaison dans laquelle baignent tous les éléments qui la composent (physique), un élan primordial qui entraine tout être vers son unité originelle avec lui-même, les autres et l’être lui-même (métaphysique) et un retour de tout être vers la source divine dans laquelle il est né (mystique). »[25]

Finalement, tout comme Teilhard, il voit la montée en complexité de la matière (des quarks aux atomes, aux molécules aux molécules géantes, aux cellules géantes, aux multicellulaires à l’hominisation) et associe l’Amour à une forme d’énergie.

Pour la suite ramenons les pieds sur terre, mais conservons l’influence de Jean Proulx afin de maintenir l’ouverture d’esprit que suggèrent ses réflexions dans le but d’avoir les meilleures dispositions possibles dans la recherche de beaux et de vrais nouveaux.

Gérard Donnadieu (1935 –      )

Gérard Donnadieu, [26] est ingénieur des Arts et Métiers, Docteur en physique et titulaire d’une habilitation doctorale en théologie. Il a œuvré pendant plus de 30 ans dans le monde des entreprises comme cadre supérieur et comme consultant. Il a aussi été responsable de projets de recherche en sciences de la gestion et en science sociales.[27] Il est président d’honneur de l’Association des Amis de Pierre Teilhard de Chardin. J’ajouterais qu’à ma connaissance, M. Donnadieu est l’un des plus grands spécialistes de l’œuvre de Teilhard si non le plus grand. Il est donc plus que qualifié pour nous apporter l’éclairage qui suit sur l’apport de l’œuvre de Teilhard à l’essai proposé sur ce site.

L’utilisation du concept d’énergie chez Teilhard n’est pas toujours conforme avec la science. Il s’en rapproche toutefois grâce au développement de la physique quantique. C’est du moins ce que pense Donnadieu[28] : « L’énergie tangentielle représente l’énergie tout court au sens de la thermodynamique; elle ne pose pas de problème épistémologique particulier. Quant à l’énergie radiale, la seule quantifiée par Teilhard de spirituelle, elle se trouverait à l’origine des arrangements toujours plus complexes et centrés observés lors du grand phénomène de l’Évolution. Mais s’agit-il bien là d’énergie? Et Teilhard n’est-il pas victime de son usage métaphorique du concept d’énergie, le seul, il est vrai, qu’il avait à sa disposition à cette époque? Pour répondre à cette question et essayer du même coup de sauver le concept teilhardien si séduisant d’esprit – matière, il nous faudra aller voir du côté des dernières découvertes de la physique de l’information, découvertes que Teilhard ne pouvait connaître. »

Donnadieu de poursuivre que la nouvelle physique (Information – énergie – matière) apporte un appui au couple esprit – matière imaginé par Teilhard. Pour réussir ce rapprochement, Donnadieu s’appuie sur une théorie développée par John Archibald Wheeler. M. Wheeler qualifie cette théorie de It from bit[29]. Cela signifie que tout objet du monde physique a un fondement, un très profond fondement dans une source immatérielle. Tout comme l’ADN en biologie cette source existe seulement pour transmettre de l’information à la matière et à l’énergie en transformation. « Pour Wheeler, un cosmos à base principalement d’information ne peut déboucher au final que sur la conscience de lui-même, c’est-à-dire, l’esprit. »[30]

Concernant l’Évolution, Donnadieu ne voit pas de besoin de mise à jour de la pensée de Teilhard. Nous voyons sous nos yeux, nous dit-il, l’Évolution qui continue et s’accélère avec les sciences, les technologies, en particulier les technologies de communication, les phénomènes sociaux, la mondialisation et le rapprochement des cultures. De même, toujours selon Donnadieu, la loi de complexité – conscience édictée par Teilhard demeure intacte; rien dans la science moderne ne remet en question cette loi. Nous pouvons même affirmer qu’elle est appuyée par le principe d’émergence et la loi des trois infinis. Le principe de l’émergence : c’est une propriété collective qui n’est présente dans aucun des éléments dont elle est constituée. Par exemple les propriétés de l’eau (H2O) sont différentes des propriétés individuelles de l’hydrogène (H) et de l’oxygène (O). La loi des trois infinis consiste à considérer l’infiniment complexe en concomitance avec l’infiniment grand et l’infiniment petit.

L’actualisation de l’œuvre de Teilhard par Donnadieu nous réconforte dans l’utilisation que nous en faisons dans l’élaboration de l’essai principal sous l’onglet « Philosophie » sur ce site.

Tout comme Jean Proulx, Gérard Donnadieu s’écarte sensiblement de la rigueur scientifique. Cependant, cette excursion dans un chemin de traverse trace une nouvelle voie de recherche sur l’esprit tout comme le souhaite Noah Harari.

Conclusion

Ainsi, la conservation et la bonification de la philosophie du Christ à travers les siècles, à certaines époques par les religions, à d’autres par des philosophes laïques; l’ajout des œuvres de Harari, Jung, Cyrulnik, Morin, Marquet, Proulx et Donnadieu en complémentarité à l’œuvre de Teilhard; le tout scelle notre échelle des valeurs avec l’amour au sommet. Cette conclusion est en association symbiotique avec les éléments de la philosophie de Luc Ferry utilisés sur ce site. Ce grand philosophe contemporain considère l’amour, la vérité, le bien et le beau comme les quatre plus grandes valeurs. J’ajoute à celles-ci l’harmonie. Cette dernière nous guide dans le travail à faire en vue de la réalisation du vivre mieux avec nos semblables et notre environnement. Ferry dit qu’il est rationnel que la philosophie contienne de l’irrationnel. Il aide ainsi à relier la spiritualité et la philosophie en montrant que l’amour humain est une valeur transcendantale tout en demeurant une valeur immanente. Aussi, Ferry enrichit mon point de vue lorsqu’il propose que l’amour humain déborde sur la place publique puisque nous voulons le meilleur des mondes pour nos proches, enfants et petits-enfants. C’est dans cette optique que Ferry propose cette adaptation de la maxime de Kant : « Agis de telle sorte que tu puisses souhaiter voir les décisions que tu prends s’appliquer aussi aux êtres que tu aimes le mieux. » En relation avec le beau, j’ajouterais que la beauté du monde est comme une fenêtre qui s’ouvre sur la spiritualité. C’est là un point de jonction entre nous et le mystère. Ce concept a été élaboré par le philosophe allemand Friedrich von Schelling[31] et plus près de nous par François Cheng.[32]

Dans ce qui précède, j’ai voulu faire la démonstration que la philosophie du Christ a survécu jusqu’à nous sans l’apport des religions à certaines époques. À noter cependant qu’à notre époque, le cheminement que suivent les croyants n’est pas très différent de celui suivi par les non-croyants. Le Dieu révélé par la foi amène aussi les croyants vers la pratique de la philosophie du Christ. À long terme, le rapprochement entre tous les humains de culture chrétienne qu’ils soient croyants ou pas est donc tout à fait envisageable. À noter que déjà la portée universelle de la philosophie du Christ se retrouve dans la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies[33].

Finalement, tenant lieu de résumé, j’inclus ci-après une représentation graphique de l’idée centrale qui devient l’hypothèse première à partir de laquelle l’essai proposé sur ce site est construit. Les deux entonnoirs illustrent que le point de jonction entre ce qui nous dépasse et ce qui se conçoit à la lumière des connaissances d’aujourd’hui c’est l’amour, sous toutes ses formes, représenté par le symbole Ai; le symbole ΔA signifie que l’amour varie, et ce majoritairement d’une façon positive. Le symbole Σ signifie l’addition de toutes les Ai +ΔAi. Les éléments transcendants sont situés dans le cône supérieur alors que les éléments immanents sont situés dans le cône inférieur. Le positionnement et le choix des éléments autant transcendants qu’immanents sont aléatoires.

Pour la suite, le lecteur est invité à reprendre la lecture de l’essai principal sous l’onglet « Philosophie » à la Section « Action individuelle, Partie 1 ». Cet essai, maintenant enrichi de la présente mise à jour s’appuie sur des bases encore plus solides.

 

(15 mars 2023)

 

[1] Frédéric Lenoir, Le Christ philosophe, Plon, 2007

[2] André Comte-Sponville, Que le meilleur gagne!  Robert Laffont, 2021

[3] Voir Note 1, page 74

[4] Frédéric Lenoir, Le miracle Spinoza, Fayard, 2017

[5] Voir Note 1, page 11 et 12

[6] Siècle des Lumières — Wikipédia (wikipedia.org)

[7] Notes de cours du Professeur Roger Larose, L’âge de la raison, UTA Automne 2018

[8] Jeanne Hersch, L’étonnement philosophique, Gallimard, 1981, page 233

[9] Pierre Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain, Édition du Seuil, 1955

[10] Voir Note 8, page 113

[11] Frédéric Lenoir, Jung un voyage vers soi, Albin Michel, 2021

[12] Voir Note 8, page 37

[13] Voir Note 11, page 154

[14] Voir Note 11, page 295

[15] Boris Cyrulnik et Edgar Morin, Dialogue sur notre nature humaine, Marabout, 2018

[16] Boris Cyrulnik, Psychothérapie de Dieu, Odile Jacob, 2017

[17] Guy Sorman, Les vrais penseurs de notre temps, Fayard, 1989, page 47 à 58

[18] Denis Marquet, Osez désirer tout, la véritable philosophie du Christ, Flammarion (2018)

[19] Denis Marquet, Aimez à l’infini, la véritable philosophie du Christ, Flammarion (2019)

[20] Voir Note 18, Page 247

[21]Ici Marquet rejoint Spinoza

[22] Pierre Teilhard de Chardin, Sur l’Amour, Édition du Seuil, 1967

[23] Yuval Noah Harari, Sapiens une brève histoire de l’humanité, Albin Michel, 2012

[24] Jean Proulx, La chorégraphie divine, Septentrion, 2008

[25] Voir Note 16, page 162, 163

[26] Gérard Donnadieu, Teilhard de Chardin, science – Géopolitique – Religion – l’avenir réenchanté, Les Acteurs du Savoir, 2018

[27] Intéressant de noter que M. Donnadieu est ingénieur, possède une solide formation en science et une expérience en milieu industriel tout comme l’auteur de ce site.

[28] Les notions d’énergie tangentielle et radiale sont utilisées par Teilhard dans son œuvre synthèse Le Phénomène humain, Éditions du Seuil, 1955

[29] John Archibald Wheeler, information, physics, quantum: the search for links, Princeton University Press

[30] Voir Note 18, page 90

[31]Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling — Wikipédia (wikipedia.org)

[32] François Cheng, Cinq méditations sur la beauté, Le livre de poche

[33] www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/index.html, Préambule, Articles 1, 2, 3, 7, 18, 19, 22