Actions collectives

Majoritairement, l’action collective l’emporte sur l’action individuelle sans, bien entendu, que cette dernière soit exclue. Le travail d’équipe, de préférence encadré par un leadership éclairé, est essentiel à l’accomplissement d’actions plus complexes. La recherche scientifique requiert de plus en plus de grandes équipes et une meilleure collaboration entre ces équipes. Pensons par exemple au Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN), où 2400 spécialistes travaillent en permanence et où 6000 scientifiques sont de passage chaque année! Dans le domaine des arts appliqués, la réalisation d’un chef-d’œuvre architectural requiert l’apport de plusieurs compétences artistiques et techniques. Il en est de même pour l’appareil judiciaire, qui ne peut être l’œuvre d’un seul individu. Et le tout doit être harmonieux, c’est-à-dire toujours en vue du bien commun.

Dans le travail d’équipe peut aussi germer la synergie. C’est, comme le voit Albert Jacquard :

« la fécondité de la mise en commun, c’est-à-dire de la communion. Cette fécondité est illustrée par l’écart entre les mots plus et et malheureusement si souvent confondus : deux plus deux font bien quatre, mais deux et deux peuvent faire toute autre chose que quatre, par exemple vingt-deux; tout dépend de l’interaction qui est manifestée par le terme et. Si la mise en commun consiste simplement à additionner, le résultat ne comporte aucune novation; si elle met en présence deux êtres capables de s’influencer l’un l’autre, le résultat est souvent imprévisible et peut apporter de l’encore jamais vu. » (Albert Jacquard, Dieu?, 2003, page 116)

Voilà ce qui est souhaitable, voilà ce qui est recherché dans le travail d’équipe. Mais cette synergie est plus qu’une réalité organisationnelle. Elle provient d’abord et avant tout de notre réalité humaine.

« Ce sens que l’on retrouve dans le lien aux autres, ce n’est pas un diktat de la culture ou de la morale sociale. C’est un besoin du cerveau lui-même : dans les trente dernières années, la sociobiologie a fait la démonstration que ce sont nos gènes eux-mêmes qui sont altruistes. L’orientation vers les autres et la paix intérieure que nous en tirons font partie de notre fabrique génétique. Du coup, il n’est pas surprenant que cet altruisme soit au cœur de toutes les grandes traditions spirituelles. C’est d’abord une expérience dans le corps, une émotion, qui a été vécue tant par des sages taoïstes et hindous que par des penseurs judaïques, chrétiens ou musulmans – autant que par des millions d’êtres humains anonymes et souvent athées.

« Dans les études sur les gens qui sont plus heureux dans leur vie que les autres, on décèle systématiquement deux facteurs : ils ont des relations affectives stables avec des êtres proches, et ils sont impliqués dans leur communauté. » (David Servan Schreiber, Guérir, 2003, page 237)

À ce sujet, nous pouvons percevoir dans les organisations une prise de conscience de plus en plus grandissante. C’est ainsi que se répand le concept de « développement durable » (Traduction de l’expression anglaise « sustainable development ») :

« L’objectif du développement durable est de définir des schémas viables qui concilient les trois aspects économique, social, et écologique des activités humaines : ‟trois piliers” à prendre en compte par les collectivités comme par les entreprises et les individus. La finalité du développement durable est de trouver un équilibre cohérent et viable à long terme entre ces trois enjeux. À ces trois piliers s’ajoute un enjeu transversal, indispensable à la définition et à la mise en œuvre de politiques et d’actions relatives au développement durable : la gouvernance. La gouvernance consiste en la participation de tous les acteurs (citoyens, entreprises, associations, élus…) au processus de décision ; elle est de ce fait une forme de démocratie participative. Le développement durable n’est pas un état statique d’harmonie, mais un processus de transformation dans lequel l’exploitation des ressources naturelles, le choix des investissements, l’orientation des changements techniques et institutionnels sont rendus cohérents avec l’avenir comme avec les besoins du présent.

On peut considérer que les objectifs du développement durable se partagent entre trois grandes catégories :

Ceux qui sont à traiter à l’échelle de la planète : rapports entre nations, individus, générations ;
Ceux qui relèvent des autorités publiques dans chaque grande zone économique (Union européenne, Amérique du Nord, Amérique latine, Asie…), à travers les réseaux territoriaux par exemple ;
Ceux qui relèvent de la responsabilité des entreprises. » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Développement_durable)

L’esprit d’entreprise

La réflexion exprimée ci-devant est une source de motivation de grande qualité. L’émergence de l’esprit d’entreprise est une conséquence logique et directe de cette philosophie. L’esprit d’entreprise, est cet état d’être qui pousse à entreprendre, à agir, à ses risques et périls, et ce, quel que soit le domaine d’activité : art, science ou technologie, activité sociale ou politique, économie ou, comme on le voit le plus souvent, une combinaison de deux ou plusieurs de ces domaines.

Au-delà du besoin de réussir, de se prouver, il y a le besoin de rendre service.

Il est rafraîchissant de constater que je ne suis pas seul dans mon cheminement. En lisant La quête du sens de Thierry C. Pauchant, je constate le rapprochement que font l’auteur et ses collaborateurs entre le management et la philosophie de l’existentialisme. La démarche est donc essentiellement la même que celle que je préconise, c’est-à-dire : établir des liens entre la réflexion fondamentale philosophique et le management.

L’entreprise

Celui qui est animé par l’esprit d’entreprise agit rarement seul, bien qu’il soit encore possible de le faire aujourd’hui, avec tous les outils modernes. À partir du moment où vous avez un employé ou un partenaire, vous êtes en entreprise :

« Les entreprises sont des institutions sociales – des communautés. Elles excellent quand des êtres humains engagés travaillent ensemble dans des relations de collaboration, dans le respect et la confiance. Détruisez ces conditions et c’est toute l’institution des affaires qui s’écroule. » (Jacinthe Tremblay, Entretiens avec Henry Mintzberg, 2010, page 125)

« Les hommes n’ont pas plus de contact qu’un grain de sable avec un autre, écrit Laforgue, lorsqu’à disparu la sensibilité qui les lie ensemble et conditionne la structure de la collectivité. » (Pierre Bour, Les racines de l’homme, 1976, page 580)

Le libertaire se dirige tout droit sur le mur de l’utopie. Les entreprises privées et les institutions se doivent de cohabiter :

« Les sociétés humaines sont construites sur l’idée que nous avons tous des intérêts différents, mais pour ne pas nous détruire mutuellement, il nous faut accepter des mécanismes communs de réconciliation de ces intérêts, les institutions.

« Nous faisons tous implicitement un acte de foi, qui veut que le comportement altruiste, ou du moins modérément altruiste est la meilleure façon de sauver tout le monde (Selznick, 1990). Si nous doutions de nos institutions, nous ne pourrions plus les faire respecter.

[…]

« Pour survivre, nous devons porter attention au comportement moral des entreprises. Elles ne sont pas seulement créatrices de richesse. Elles sont aussi des actrices politiques de premier plan. Si elles se comportent de manière irresponsable, elles seront amorales ou immorales et détruiront nos sociétés. » (Taieb Hafsi, La Presse Affaires, 26 janvier 2009, page 5)

Dans l’esprit de cet essai, nous ne pouvons passer outre le facteur humain dans l’entreprise :

« Il y a trente-cinq ans, mon père, journaliste, a écrit un livre intitulé le Défi américain. Il y dénonçait le retard que l’Europe avait pris dans certains aspects essentiels du fonctionnement de l’entreprise par rapport aux entreprises les plus en pointe aux États-Unis, principalement l’automatisation par l’informatique et les techniques modernes de management. Aujourd’hui après vingt ans passés en Amérique, ayant fait le choix de rentrer en France, je suis frappé par la nouvelle nature du défi. La vraie différence entre la culture d’entreprise des deux sociétés n’est plus l’informatique ou la gestion, mais dans le fait que les meilleures entreprises américaines, que ce soit des universités, des centres de recherche, ou certaines chaînes de grande distribution, ont réinventé la nature des relations humaines au travail. Elles ont saisi l’importance de l’intelligence émotionnelle, du travail d’équipe, du respect de l’intégrité de l’autre, des encouragements (le feedback positif). Elles ont compris que rien n’est plus mauvais pour l’entreprise que la violence inutile des rapports entre les gens, alors que ces relations, toutes nos relations, forment le tissu même du bien-être. D’autant plus que quelques idées aussi simples que puissantes permettent de les transformer complètement pour le meilleur. » (David Servan-Schreiber, précité, pages 185 et 186)

La fiscalité

Une société moderne ne peut exister sans fiscalité. D’une part, l’entreprise privée ne peut fonctionner sans loi, règlement et système d’arbitrage et d’autre part, l’État ne peut fonctionner sans financement, dont la source principale demeure la taxation. Le défi, sans solution définitive encore de nos jours, demeure l’équité. Il faut l’apport de tout le génie des économistes et toute la sagesse des politiciens pour maintenir tant bien que mal un équilibre plus ou moins stable entre les tenants d’un État plus important et ceux qui favorisent le secteur privé. Mais alors, se pose la question du juste équilibre. Robichaud et Turmel se sont posé la question de la juste part de chacun :

« Qu’est-ce que faire sa juste part?

Cela ne se limite pas à travailler à l’usine ou à l’hôpital, à écrire des livres ou à plaider des causes, à créer des emplois ou à ériger le paysage bâti, à inventer des outils nous facilitant la vie ou à créer des œuvres pour y donner un sens. Au-delà de ces contributions concrètes à l’économie, nous devons aussi reconnaître des contributions plus abstraites, assumées par l’ensemble des citoyens, qui rendent possible le maintien et l’efficacité de la société en général et de l’économie de marché en particulier.

[…]

Est-ce à dire que nous souhaitons une allocation radicale égalitariste des ressources, condamnant toute forme d’inégalité comme inacceptable ? Non ce serait une erreur.

[…]

Vouloir tout égaliser impliquerait l’élimination des incitatifs à travailler davantage, à prendre des risques et à innover. Ce serait ignorer la capacité que peut avoir le marché, dans certains domaines et sous certaines conditions, à faire coïncider l’intérêt individuel et l’intérêt collectif. » (David Robichaud et Patrick Turmel, , 2012, page 91)

La question de la juste part est bien formulée, mais la réponse… est plus difficile à trouver…

Une société moderne est constituée de beaucoup d’autres éléments, relatifs au bien-être, à la culture, aux traditions et à l’économie. Mais dans le cadre de cet essai, qui nous conduit à réfléchir à l’esprit d’entreprise, il est essentiel de ne pas passer outre au problème de la redistribution de la richesse. Nous connaissons d’expérience les méfaits des deux extrêmes que sont le communisme et le capitalisme sauvage.

En pratique, lorsqu’il n’y a pas de solutions scientifiques ou philosophiques claires, le juste équilibre entre la droite et la gauche est une variable cyclique, et le louvoiement entre les deux est le résultat des choix politiques du moment.

Leadeurship

Les religions, les nations, les entreprises, les organisations de toutes sortes appliquent les valeurs des hommes qui en font partie, mais ont surtout celle des hommes qui les dirigent.

Henry Mintzberg affirme sans hésitation que « [l]e leadership, c’est l’engagement ».

« Celui qui n’est pas là pour se servir lui-même, mais pour servir les autres, celui qui nous incite à nous engager et à donner le meilleur de nous-mêmes, celui qui nous transmet de l’énergie et qui nous encourage à agir comme des héros.

[…]

« En ayant pour seule préoccupation la valeur des actions à la bourse, on a négligé ceux qui donnent sa vitalité, sa qualité et sa raison d’être à une entreprise : ses employés. Les vrais leadeurs pratiquent un management plus humain et moins hiérarchisé, et redonnent leur place et leurs valeurs aux employés. » (Mintzberg, Commerce, juin 2003)

« La caractéristique la plus importante du leadeurship est la légitimité. On peut parler de légitimité informelle quand un groupe choisit de suivre quelqu’un à cause de ses qualités de leadership, comme c’est souvent le cas dans nos vies.

« Dans les organisations, on nomme souvent des gens à des postes de direction sans qu’ils aient d’abord obtenu ce genre d’adhésion. Je crois qu’un cadre qui n’arrive pas à acquérir la légitimité informelle auprès des membres de son unité ne fait pas preuve de leadeurship, qu’il soit gestionnaire de premier niveau ou PDG. » (Jacinthe Tremblay, précité page 41)

Voici ce que Paul Desmarais Jr a dit sur ce sujet dans une entrevue accordée au journal La Presse, le 10 mai 2004 : « Nous sommes tous susceptibles d’avoir des idées préconçues. Elles nous facilitent la vie. C’est vrai du racisme, mais aussi des autres préjugés sur les riches et les pauvres, les patrons et les syndicats.

M. Desmarais estime que la meilleure façon de déconstruire ces idées préconçues est de côtoyer des gens pendant une longue période. « C’est la seule façon de comprendre l’être humain, au-delà du groupe auquel il appartient », dit-il. Pour lui, justement, le leadership passe d’abord et avant tout par les qualités humaines, par la capacité d’introspection et de connaissance de soi. Il repose sur des fondements éthiques et moraux : « Un leader aide les autres par sa démarche, sa façon d’être, par sa capacité d’empathie. Il a aussi besoin de volonté et d’une grande énergie, autant physique qu’émotionnelle. » Les plus grands leaders sont, à ses yeux, les grands chefs spirituels. Il nomme Gandhi, le dalaï-lama et le pape Jean-Paul II. »

Reste que la gestion est une activité d’une grande complexité : « Dans la vie réelle, les gestionnaires vivent dans le chaos calculé et le désordre contrôlé. Ils accomplissent en cascade de courtes tâches de natures différentes, souvent interrompues par des contacts internes et externes. Chez eux, la communication orale domine. » (Jacinthe Tremblay, précité, page 133)

Le leader surtout dans les grandes organisations doit faire preuve d’humilité : l’antidote à l’arrogance et au sentiment de supériorité. Ces deux défauts sont particulièrement insupportables pour les collaborateurs immédiats.

Le pouvoir

Dans l’action collective apparaît aussi la nécessité de l’exercice du pouvoir, sous forme charismatique, organisationnelle et formelle ou bureaucratique. Comme l’a écrit Simone Weil, le pouvoir est un moyen : « [L]e pouvoir n’est pas une fin. Par nature, par essence, par définition il constitue exclusivement un moyen. Il est à la politique ce qu’un piano est à la composition musicale. » (Weil, L’enracinement, 1949, page 276) Ce serait si simple si tous les dirigeants acceptaient cette prémisse…

Ceux qui acceptent une responsabilité de dirigeant doivent s’appuyer sur des valeurs solides, comme il est suggéré ici dans cet essai, et sur les principes de gestion qui en découlent.

L’idéaliste doit demeurer méfiant et ne pas sombrer dans la naïveté. C’est là malheureusement une dure réalité, un poids lourd à porter. Comme l’exprime Teilhard de Chardin à la fin de son livre « Le phénomène humain » : « rien ne ressemble autant que l’épopée humaine à un chemin de la Croix. » (Teilhard de Chardin, précité, page 318)

(Révisée le 30 août 2021)

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