Compléments à Teilhard

Albert Einstein

Il existe, je crois, une continuité théorique entre la théorie de la relativité élaborée par Albert Einstein et Le Phénomène humain imaginé par Teilhard de Chardin. Il est clair à mes yeux que l’œuvre de Teilhard est une extrapolation de la théorie de la relativité. Extrapolation dans le sens que la Théorie de la relativité est extra personnelle alors que pour Teilhard comme déjà cité : « la vraie Physique est celle qui parviendra, quelque jour, à intégrer l’Homme total dans une représentation cohérente du monde. » Ceci est d’autant plus vrai que Teilhard se considérait comme un « hyper-physicien ».

La Théorie de la relativité, comme son nom l’indique, fait la démonstration que tout est relatif dans l’univers. Le fait que tout soit relatif nous indique aussi le caractère harmonieux de la nature dont la beauté est sa manifestation la plus spectaculaire. Einstein croyait à cette harmonie de la nature. Cette notion faisait déjà partie de sa philosophie avant même l’énoncé de la Théorie de la relativité. C’est d’ailleurs ce que pense Boris Kouznetsov un des éminents biographes d’Albert Einstein:

« En même temps, il faut noter que le fondement de son credo épistémologique [en ce qui concerne sa philosophie des sciences] fut posé avant l’énoncé de la théorie de la relativité. Ce credo était encore vague et son attitude antipositiviste [c’est-à-dire qu’il existe une forme quelconque de métaphysique] s’exprimait surtout dans sa croyance en l’harmonie objective et compréhensible de l’univers. Cette conviction profondément enracinée eut une grande influence sur sa vie, elle détermina ses intérêts, ses vues morales et ses affinités esthétiques. » (Kouznetsov,  1967 page 73)
[…]
« À la base de la vision du monde d’Einstein se trouve la ferme croyance dans l’harmonie de l’univers, couplée avec un intense désir d’harmonie social. Son tempérament scientifique poussait Einstein à créer une image physique qui exprimait l’harmonie de la nature. » (Kouznetsov, précité page 81)

C’est dire qu’Einstein vivait dans l’espoir d’une plus grande harmonie avec et entre les humains malgré son grand besoin de solitude. Ceci est éminemment précurseur de la notion de noosphère imaginée par Teilhard. Il vivait donc en conformité avec sa propre philosophie de la vie :

« Par l’expérience quotidienne, concrète et intuitive, je me découvre vivant pour certains autres, parce que leur sourire et leur bonheur me conditionnent entièrement, mais aussi pour d’autres hommes dont, par hasard, j’ai découvert les émotions semblables aux miennes.

Et chaque jour, mille fois, je ressens ma vie, corps et âme, intégralement tributaire du travail des vivants et des morts. Je voudrais donner autant que je reçois et je ne cesse de recevoir. Puis j’éprouve le sentiment satisfait de ma solitude et j’ai presque mauvaise conscience à exiger d’autrui encore quelque chose.
[…]
Car je n’ai jamais considéré le plaisir et le bonheur comme une fin en soi et j’abandonne ce type de jouissance aux individus réduits à des instincts de groupe.
En revanche, des idéaux ont suscité mes efforts et m’ont permis de vivre. Ils s’appellent le bien, le beau, le vrai. Si je ne me ressens pas en sympathie avec d’autres sensibilités semblables à la mienne, et si je ne m’obstine pas inlassablement à poursuivre cet idéal éternellement inaccessible en art et en science, la vie n’a aucun sens pour moi.
[…]
J’éprouve l’émotion la plus forte devant le mystère de la vie. Ce sentiment fonde le beau et le vrai, il suscite l’art et la science. Si quelqu’un ne connaît pas cette sensation ou ne peut plus ressentir étonnement ou surprise, il est mort-vivant et ses yeux sont désormais aveugles.
[…]
Je ne me lasse pas de contempler le mystère de l’éternité de la vie. Et j’ai l’intuition de la construction extraordinaire de l’être. »

(Einstein, Comment je vois le monde, 1979 page 7 à 10)

La construction extraordinaire de l’être selon Einstein et la définition de « voir » comme une prise de conscience accrue d’être et de la raison d’être, selon Teilhard, cèlent le rapprochement et la continuité de penser entre les deux hommes.

Ce rapprochement crée aussi un lien entre l’Amour universel et l’harmonie à construire entre les humains. Ceci nous permettra, au cours des épisodes subséquentes, de faire de l’harmonie une des quatre valeurs qui, avec le beau, le vrai et le bien, découlent logiquement de la valeur de l’Amour universel.

Il est aussi intéressant de mettre en perspective que Teilhard et Einstein étaient tous deux croyants chacun à sa façon : Teilhard dans la plus pure tradition catholique alors qu’Einstein se définissait comme un disciple de Spinoza. « Il y avait chez Einstein et Spinoza, comme l’a noté l’épistémologue Michel Paty, une « perception identique du rapport entre la pensée et la nature » et une même conviction sur la nature du déterminisme ». (Philosophie magazine / hors-série N°29, page 91 et 92). Pour Teilhard, Jésus-Christ est Dieu fait homme tandis que pour Spinoza le Christ est et demeure le plus grand des philosophes.

À noter que Einstein et Teilhard ont eu tous les deux des vies difficiles. L’un devenu sans-patrie, l’autre exilé en Chine et tenu au silence en ce qui concerne ses écrits dits non scientifiques. Il est aussi intéressant de savoir que Einstein est un quasi exact contemporain de Teilhard, il est né deux ans plus tôt et décédé la même année!

(page modifiée le 22 septembre, 2021)

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