Conclusion

J’écris cette conclusion, dans un premier temps, avec le «nous» parce que cet essai ne serait rien sans ces grands écrivains et hommes de sciences que sont Teilhard de Chardin, Einstein, Basile, Prigogine, Jacquard, Laborit, Cyrulnick, et sans les philosophes Weil, Hersch, Ferry, Comte-Sponville, Lenoir et combien d’autres, qui ont su proposer de nouvelles idées et utiliser avec sagesse un grand nombre d’idées accumulées depuis l’Antiquité. Ces auteurs ont été et demeurent des sources d’inspiration inépuisables.

Cette recherche m’a permis de découvrir une spiritualité sans foi, sans religion, sans Dieu, juste à la frontière entre l’immanence et la transcendance. Nous pourrions parler d’une «nouvelle spiritualité» puisqu’elle est en bonne partie élaborée par des philosophes contemporains que nous avons cités tout au long de cet essai. À partir d’une réflexion sur la spiritualité, nous avons abouti à l’Amour. C’est là la plus formidable des réalités humaines. Nous en avons fait une valeur, en soi, toute simple, puisqu’accessible à tous. Mais là s’arrête la simplicité. La mise en pratique est infiniment plus exigeante. À partir de cette hypothèse, nous avons été en mesure, aidés par notre bagage culturel et l’expérience, d’échafauder une philosophie schématisée dans un tableau (placé à la fin de la Partie 2 de l’action individuelle).

Cette philosophie a mis en lumière le besoin de créer, c’est-à-dire mettre notre unicité au service des autres.  Peut-être par déformation professionnelle, mais aussi guidés par le raisonnement, nous avons montré que cette philosophie menait à un esprit d’entreprise «à cœur ouvert» pouvant s’exprimer à la fois dans des projets sociaux, environnementaux et économiques. Le tout sans trop s’égarer du bonheur. Le bonheur, en effet, est un bon test du degré d’humanité de notre action, puisque nous aimons le partager. Nous avons donc bouclé la boucle lorsque nous avons réalisé avec Simone Weil que le travail, s’il est bien compris, est une action spirituelle. Et ce travail bien compris consiste à participer à l’avancement des choses, à prendre part à l’Évolution avec toute la clairvoyance possible.

Pour la suite de cette conclusion, je reprends le «je». De ma position d’agnostique, je travaille à cette synthèse des idées depuis l’adolescence, depuis ce moment lointain où j’ai pris conscience d’être. Comme j’ai employé cette méthode tout au long de cet essai, voici une autre citation à laquelle je peux très bien me rallier :

« C’est là le péché fondamental des religions : faire des adeptes qui ne posent plus de questions. L’attitude scientifique est exactement à l’opposé.

Je n’arrive plus à comprendre la nécessité de croire. La réponse à l’angoisse existentielle peut être trouvée non dans une foi, mais dans une adhésion. Personnellement, j’adhère avec enthousiasme au projet de société proposé il y a deux mille ans par un homme nommé Jésus. Que cet homme ait été ou non le ‟Fils de Dieu” me paraît sans importance. Je respecte l’attitude de ceux qui ont cette conviction, mais je ne vois pas au nom de quoi je la partagerais.

La démarche scientifique n’utilise pas le verbe croire; la science se contente de proposer des modèles explicatifs provisoires de la réalité; et elle est prête à les modifier dès qu’une information nouvelle apporte une contradiction. Pourquoi les religions n’en feraient-elles pas autant?

[…]

Le croyant, s’il est chrétien, regarde comme une vérité évidente l’affirmation que Jésus Christ est le fils de Dieu ; s’il est musulman, l’affirmation que le Coran a été dicté par Dieu à Mahomet. Ces affirmations ne peuvent évidemment pas faire l’objet d’une preuve. Personnellement, je ne vois pas pourquoi je les accepterais comme vraies; je ne suis donc pas ‟croyant”. Pour autant je ne peux prétendre qu’elles sont fausses; je ne suis donc nullement ‟athée”. Je suis comme beaucoup, agnostique, c’est-à-dire conscient de mon incapacité à dire quoi que ce soit à propos de ce qu’il est convenu de désigner par le mot Dieu.

Cette foi que je ne partage pas, je la respecte infiniment chez ceux qui la proclament, car elle est présente au plus intime de leur personne. Ce n’est pas à moi à semer le doute en eux. J’ai, en revanche, à confronter les conséquences qu’ils tirent de leur foi pour leur comportement avec celles que je tire de mes propres convictions. Or, bien souvent, il y a convergence. Ainsi, l’Évangile propose une attitude vis-à-vis du ‟prochain” qui me semble exactement celle que devrait adopter tout homme lucide. Que Jésus soit ou non fils de Dieu, j’adhère au programme qu’il propose. Peu importe que cette adhésion soit le fruit d’une foi » (Albert Jacquard, avec Huguette Planès, précité, 1997, pages 170, 172, 173)

L’amour comme idéal (avec le doute comme stimulant) est une position où tout le monde gagne. En effet, si le dieu-personne existait et s’il pouvait me conseiller, il ne pourrait pas tellement modifier ma position, puisque lui-même est Amour, comme le propose le christianisme. S’il n’existe pas, la thèse défendue ici est un humanisme très proche du christianisme. Ce raisonnement est d’ailleurs très semblable à ce que propose Frédéric Lenoir : « Puisque Dieu est amour, puisque telle est sa définition même, tous ceux qui aiment, qu’ils soient croyants ou non, vivent dans la vérité. »(Lenoir, Le Christ philosophe, 2007, page 66.)

Je termine cet essai en souhaitant être lu, évidemment, en souhaitant rendre service et aider à vivre avec les autres, ou tout simplement en apportant quelques instants de bonheur à qui découvrira ou redécouvrira quelques belles idées et réflexions. Et dans cet esprit, voici une dernière citation, des plus pertinentes :

« Mais comment laisse-t-on une trace sur un esprit, sur une conscience? Je ne sais pas. C’est insaisissable, ça ne peut pas être délibéré, on écrit, on dit des choses auxquelles on attache du prix, personne ne les entend, et voilà qu’une phrase improvisée creuse un sillon […].
« On ne vit pas vieux sans avoir appris que ce ne sont pas les gens intelligents qui manquent, ce sont les gens courageux.

« La morale du courage, c’est celle que j’essaie de transmettre à mes quatre petits-fils, comme on me l’a transmise, comme ils la transmettront, je l’espère à leurs enfants. Honneur et courage, mes garçons, n’en démordez jamais, même, si parfois, c’est dur et que le cœur vous manque. Le reste, on peut toujours s’en arranger. » (Françoise Giroud, Leçons particulières, 1992, page 217.)

(Page modifiée le 29 juillet 2020)