L’altruisme

Dans le cadre de la préparation de l’essai principal sous l’onglet « Philosophie », j’ai mentionné que nous ne pouvions entamer une réflexion spirituelle sans y inclure l’influence de l’Orient, et que, bien entendu, le bouddhisme occupe une place centrale dans cette influence. Dans Le moine et le philosophe, Mathieu Ricard définit le bouddhisme ainsi : « En essence, je dirais que le bouddhisme est une tradition métaphysique dont émane une sagesse applicable à tous les instants de l’existence et dans toutes les circonstances. » Qu’en est-il de la pratique du bouddhisme ? Mathieu Ricard identifie trois éléments importants : « la vue, la méditation et l’action. La vue correspond à la perspective métaphysique. » La méditation est la pratique qui nous relie à l’aspect immatériel de la conscience. On pourrait parler ici d’un principe de conservation de la conscience. Le tout est mis en pratique dans nos actions quotidiennes. Mathieu Ricard indique également que le point de départ de sa recherche qui l’a mené à s’intéresser au bouddhisme a été : « d’établir une hiérarchie des priorités dans mon existence. » J’ai suivi cet exemple en accordant la priorité à la spiritualité dans l’élaboration de l’essai sous l’onglet « Philosophie ».

Toujours sous l’onglet « Philosophie », nous avons évoqué le rapprochement qui se construit entre les philosophies de l’Orient et de l’Occident. Nous avons également souligné qu’il n’y a aucune indication d’un problème de compatibilité entre la science et la vie spirituelle. C’est là un autre élément à la base des efforts de synthèse entre les deux courants de pensée. Mathieu Ricard est un artisan important de ce rapprochement, comme le montre son ouvrage Plaidoyer pour l’altruisme.

J’aimerais ici ajouter quatre autres éléments que nous apporte Mathieu Ricard via ce même ouvrage sur l’altruisme et qui sont pertinents à l’essai sur ce site :

  1. L’altruisme et l’évolution ;
  2. L’amour, l’émotion suprême ;
  3. La philosophie de l’altruisme versus celle de l’égoïsme universel ;
  4. Les conséquences sociétales de la promotion de l’altruisme.

1 – L’altruisme et l’évolution. Mathieu Ricard nous rapporte que la théorie de l’évolution (théorie également proposée par Teilhard dans Le Phénomène humain) nous enseigne que nous nous dirigeons vers plus d’altruisme grâce aux changements qui s’opèrent dans les cultures. Cette évolution est donc en marche. Peut-être suffit-il d’y participer, en ajoutant notre pierre à l’édifice, notre goutte à l’océan. Mais on peut aussi imaginer que nous puissions la faciliter et l’amplifier à la manière d’un catalyseur qui accélère une réaction chimique. Pour appuyer davantage sa thèse, l’auteur propose que l’évolution mène à l’éthique qui est fondamentalement liée à l’altruisme.

2 – L’amour, l’émotion suprême. L’amour altruiste dans le bouddhisme est vu comme la découverte des causes du bonheur. Le dalaï-lama nous suggère de concentrer notre méditation tout d’abord sur une personne proche de nous pour ensuite l’étendre à d’autres. Cette approche est compatible avec la pensée de Luc Ferry qui suggère d’aimer d’abord ses proches. Ce qui déborde ensuite sur la place publique suivant la maxime qu’il propose : « Agis de telle sorte que tu puisses souhaiter voir les décisions que tu prends s’appliquer aussi aux êtres que tu aimes le plus. » Se référant aux travaux de Barbara Fredrickson, Mathieu Ricard affirme que l’amour est l’émotion suprême. Il définit l’amour comme une résonance positive qui se manifeste lorsque trois événements surviennent simultanément : le partage d’une ou plusieurs émotions positives, une synchronie entre le comportement et les réactions physiologiques de deux personnes, et l’intention de contribuer au bien-être de l’autre, intention qui engendre une sollicitude mutuelle. L’amour en tant que résonnance positive est profondément inscrit dans notre constitution biologique. De plus, la science a mis en évidence l’effet de l’amour sur les bienfaits de la santé physique et mentale.

3 – La philosophie de l’altruisme versus celle de l’égoïsme universel. Dans ce même ouvrage, Mathieu Ricard fait valoir ses arguments philosophiques en faveur de l’altruisme et rejette la thèse de l’égoïsme universel. Les partisans de l’égoïsme universel s’appuient sur les arguments suivants :

  • « on fait du bien aux autres parce qu’en fin de compte on en retire une satisfaction ;
  • un acte héroïque n’est pas vraiment altruiste, car son auteur agit impulsivement et n’a pas vraiment le choix ;
  • quoi que nous fassions, nous ne pouvons désirer autre chose que notre propre bien, ce qui est en soi une démarche égoïste ;
  • tout ce que nous faisons librement étant l’expression de notre volonté et de nos désirs, nos actions sont par conséquent égoïstes. »

L’auteur réfute ces arguments en affirmant que la satisfaction naît de l’altruisme véritable, non de l’égoïsme calculateur, et que notre comportement spontané face à une situation imprévue qui évolue très rapidement est l’expression de notre état intérieur, composé principalement de notre conscience et de notre capacité d’aimer. Il ajoute que c’est notre motivation, le but ultime que nous poursuivons, qui colore nos actes en déterminant leur caractère altruiste ou égoïste, et que si l’altruisme n’existait pas, il en irait de même de tout autre sentiment à l’égard d’autrui. Enfin, il souligne que l’égoïsme universel est incompatible avec l’existence de la morale, car les personnes les plus égoïstes louent parfois les actes bienveillants ou généreux accomplis par les autres, reconnaissant ainsi implicitement chez l’autre la possibilité de l’altruisme, ce qui suppose qu’ils en ont eux-mêmes la capacité.

4 – Les conséquences sociétales de la promotion de l’altruisme. Après avoir retrouvé un nouvel intérêt pour la science occidentale, suite à une rencontre avec Trinh Xuan Thuan (astrophysicien intéressé par le rapprochement entre science et bouddhisme), Mathieu Ricard a collaboré avec plusieurs universitaires américains. Les recherches scientifiques dans le domaine de la neuroplasticité montrent que toute forme d’entraînement (comme la méditation) induit une restructuration dans le cerveau tant sur le plan fonctionnel que sur le plan structurel. Mathieu Ricard rejoint ici Noah Harari sur la nécessité de poursuivre les recherches sur l’esprit et la conscience. L’esprit et la conscience résident dans le cerveau, mais ne sont pas le cerveau. De tels projets de recherche pourraient bénéficier des efforts de rapprochement entre les sciences de l’Occident et la spiritualité venue de l’Orient.

Il est donc clair, au vu de l’ensemble de ces travaux qui se poursuivent activement dans de nombreux laboratoires de haut niveau, que l’altruisme et les comportements prosociaux qu’il engendre peuvent être volontairement magnifiés par une pratique méditative régulière.

Finalement, dans l’optique de la promotion de l’altruisme en faveur du développement sociétal, Mathieu Ricard rejoint sa pensée à celle de Henry Mintzberg. « Nous devons transcender les politiques linéaires de gauche, de droite et du centre, et comprendre qu’une société équilibrée, comme un tabouret stable, doit reposer sur 3 piliers solides : un secteur public de forces politiques qui se manifestent au sein de gouvernements respectés, un secteur privé de forces économiques qui se manifestent dans des entreprises responsables, et un secteur pluriel de force sociale qui se manifeste dans des communautés civiles robustes. »

Ces quatre éléments présentés et commentés ici viennent enrichir le chapitre « Influence de l’orient » de l’essai principal.

(Page publiée le 8 mai, 2024)