Dieu?
J’emprunte ce titre à Albert Jacquard (Dieu?, Stock/Bayard 2003). Nous reviendrons à ce livre, très particulier, un peu plus loin. Mais d’entrée de jeu, je vous propose le fruit de ma propre réflexion. Voici donc quatre propositions de définitions, du concept de «Dieu», suivies de mes commentaires et appréciations. De ces définitions, la troisième et la quatrième sont, à mon avis, des déductions de la deuxième. Elle sollicite cependant notre attention puisqu’elles sont très utilisées.
La première est celle proposée par les religions monothéistes en particulier celle que nous avons reçue en Occident dans le cadre de notre éducation chrétienne :
1) Dieu est un être éternel et suprême, créateur du monde (donc extérieur et supérieur à la nature), infiniment bon et juste.
Le problème numéro un relatif à cette définition est que nous ne pouvons pas savoir si ce Dieu existe. Cette difficulté est très bien expliquée par André Comte-Sponville dans son livre sur la spiritualité de l’athéisme (Sponville, 2006, pages 89 à 99). Dans cet ouvrage, l’auteur passe en revue les trois méthodes connues pour faire la preuve de l’existence de Dieu et des résultats peu convaincants ainsi obtenus. La première méthode dite ontologique nous propose que Dieu existe par définition. Penser Dieu c’est le penser existant. La deuxième, dite cosmologique, procède à l’inverse. Puisque le monde existe, il faut qu’il y ait un créateur. Cela en vertu du principe de raison suffisante. La troisième, dite physico-théologique, part aussi de l’observation du monde, nous y constatons une complexité inouïe donc, il doit y avoir quelqu’un pour tout harmoniser. Dit simplement, puisqu’il y a une horloge infiniment complexe, le monde, il doit bien y avoir un horloger. Que nous l’imaginions, par définition, ou par nécessité, ou à cause de la complexité du monde, ne sont pas des preuves. Ce sont au mieux des déductions plausibles, probables même, mais non des preuves définitives. Croire n’est pas savoir. Alors reste l’intuition. Les croyants vous diront que leur foi se justifie par une forte intuition que Dieu existe. Mais l’intuition n’a de valeur que si nous pouvons prouver ce qu’elle avance. Conséquemment, nous faisons face à trois options : croire que Dieu existe; croire qu’il n’existe pas ou ne pas croire, ni à l’existence ni à la non-existence. À mon sens, toutefois, la question n’est pas de croire ou pas croire; il s’agit plutôt de constater la réalité du mystère. À la frontière de la science, nous faisons face au mystère. Le pas de la foi ne peut donc se faire qu’à la frontière de la science, pas avant, si nous ne voulons pas risquer l’immobilisme intellectuel. En d’autres mots, constater ce qui aujourd’hui nous dépasse et faire en sorte de repousser la frontière entre le connu et l’inconnu. Dans cette optique, il nous faut admettre que la science a fait des progrès considérables au cours des XXe et XXIe siècles. Les phénomènes du Big Bang, de l’expansion de l’univers et la deuxième loi de la thermodynamique (l’entropie tend vers un maximum à mesure que l’énergie de l’univers s’épuise) nous rapprochent d’une preuve d’une intervention externe à notre univers, tout cela nous fait penser que l’athéisme est de moins en moins soutenable. Reste deux possibilités : être croyant en Dieu ou agnostique.
La deuxième définition est celle de Spinoza :
2) Dieu c’est la nature
Il y a affrontement à ce sujet entre la thèse du déterminisme : tout est réglé, depuis le Big Bang, depuis le commencement du monde et l’antithèse celle du hasard : c’est-à-dire que nous sommes au monde, mais nous pourrions ne pas y être, l’évolution aurait pu se faire dans une autre direction. À ce jour, je ne saurais prétendre formuler une synthèse de réconciliation entre la thèse du déterminisme et l’antithèse du hasard. De plus, admettre cette définition signifierait que Dieu s’est créé lui-même? Cette affirmation n’a pas d’assise scientifique. Je demeure donc face au mystère, je demeure donc dans ma position d’agnostique.
La troisième définition est d’affirmer que :
3) Dieu est en nous.
Parce que nous faisons partie de la nature, cela fait dire à certains que Dieu est en nous. Cette définition est un corollaire direct de la deuxième définition. Si nous ne sommes pas en mesure de démontrer que « Dieu c’est la nature » ce corollaire que « Dieu est en nous » ne peut non plus être démontré. De plus, il me semble qu’il y a ici confusion entre cette troisième définition « Dieu est en nous » et notre conscience d’être. Qui plus est, il y aurait comme une variété de dieux entre ceux qui s’incarneraient chez les despotes (Poutine, Staline, Hitler et compagnie) et ceux qui s’incarneraient chez leurs victimes. Ce qui est évidemment contraire au concept de monothéisme soutenu par ceux qui prônent cette définition du « Dieu est en nous ».
La quatrième définition est de dire que :
4) Dieu est Amour
Il s’agit là aussi d’un corollaire de la deuxième définition. Nous sommes donc ici encore aux prises avec les mêmes difficultés que celles rencontrées avec la deuxième définition.
Mais laissons-nous pour quelques instants naviguer dans le monde imaginaire de l’intuition. Dans ce monde, le seul espoir est que Dieu soit Amour; que cet Amour soit énergie (c’est l’idée mise de l’avant par Teilhard de Chardin) et, que cet Amour nous vienne d’un ailleurs quelconque, d’un autre monde. Mais nous les humains, nous cultivons l’amour entre nous. Y aurait-il alors un lien entre l’Amour valeur transcendantale et l’amour humain. Peut-être? Mais je n’en sais rien. Ce que je sais c’est qu’on peut aimer sans dieu avec les mêmes conséquences sur notre agir (voir la partie 2 de la section 6 sous l’onglet « Philosophie » en particulier, le tableau sommaire à la fin). Voilà une position pas très différente du christianisme, en tant que philosophie, dont le premier principe est : « Aimez-vous les uns les autres. » Voilà pourquoi, en suivant ce raisonnement, j’arrive à la conclusion suivante : pour celui qui sait aimer, la foi est inutile.
En complément, je peux dire que cette position est quelque peu réconfortée par Frédéric Lenoir. Se référant à l’Évangile selon Jean il écrit : « Puisque Dieu est amour, puisque telle est sa définition même, tous ceux qui aiment, qu’ils soient croyants ou non, vivent dans la vérité. » (Lenoir, 2007, page 66)
Le doute qui m’habite s’appuie du moins en partie sur les réflexions que nous propose Albert Jacquard dans son livre Dieu? (Jacquard, 2003). Dans ce livre Albert Jacquard revoit le « Je crois en Dieu » à la lumière des connaissances scientifiques d’aujourd’hui. Ce faisant, il compare l’enseignement religieux reçu dans son enfance avec les acquis de la science d’aujourd’hui. Sa critique est très sévère. Il compare le « Je crois en Dieu » à un champ de ruines sauf, en ce qui concerne « la vie éternelle » et la « Communion des saints » :
À propos de la vie éternelle, il ne peut la voir dans le corps humain lequel a nécessairement une vie qui finit au cimetière. Il la voit dans la conscience. Celle-ci existant dans une durée autre que celle de l’espace-temps. C’est là une notion très proche, sinon semblable, à celle proposée par Bergson (voir la section 3 sous l’onglet « Philosophie »). Jacquard conclut qu’en réalité, l’éternité c’est ici et maintenant. C’est donc au monde contemporain qu’il nous faut nous intéresser. Jacquard n’en fait pas état, mais pour ma part je peux imaginer une espèce de quasi-éternité dans l’héritage de la conscience qui s’enrichit d’une génération à l’autre. Cette notion se retrouve aussi dans le bouddhisme. Chez eux, la conscience est un continuum immatériel sans début ni fin, qui se propage de vie en vie (voir la section 4 sous l’onglet « philosophie »).
« Quant à la communion des saints [dit Jacquard] elle peut être définie comme la mise en commun, par l’ensemble des humains, de leurs questions, de leurs compréhensions, de leurs angoisses, de leurs espoirs. Cette mise en commun fait apparaître, par le simple fait des interactions qu’elle provoque, des performances nouvelles. Celles du cerveau humain sont le résultat de sa fabuleuse complexité; la communauté humaine est plus complexe encore si ses membres sont capables de se comporter comme des éléments d’une totalité supérieure à eux. Ainsi est réalisé un véritable surhomme; non pas, comme dans les romans de fiction, un être manifestant à titre individuel plus de force ou plus d’intelligence, mais un être multiple, une communauté : nous. » (Jacquard, 2003, page 134).
Voici un énoncé très proche de la notion de noosphère proposée par Teilhard de Chardin. (Teilhard imagine que se développe à la surface de la Terre une nappe pensante : la noosphère. Nous sommes, chacun d’entre nous, des cellules de cette nappe pensante.)
Le doute qui m’habite s’appuie aussi en partie sur ce que Yuval Noah Harari nous suggère : les dieux sont des inventions humaines. Ces inventions ont été possibles grâce à la révolution cognitive. Cette période s’étend de -70 0000 à -12 000 ans avant notre ère. Elle se caractérise par l’invention du langage et de notre capacité d’abstraction. Cette capacité d’abstraction est aussi à l’origine des « légendes, mythes, dieux et religions – tous sont apparus avec la Révolution cognitive. » (Harari, 2012, page 35). Puisque ces inventions datent de dizaines de milliers d’années, nous pouvons comprendre à quel point ces fabulations sont enracinées dans nos pensées.
Conclusion
On voit bien que le nom de Dieu est utilisé de bien des manières. Parmi toutes ces propositions, celle que je trouve la plus séduisante est celle définissant Dieu comme Amour. Peut-être tout simplement parce qu’elle fait mon affaire. Ou bien, parce que si d’aventure c’était vrai que Dieu existe et qu’il est Amour, il ne pourrait me reprocher quoi que ce soit puisque mon existence est consacrée à l’amour humain. Si Dieu existe, il voit bien que c’est par l’amour humain que nous cultivons l’Amour divin.
(Page revue et modifiée le 29 juin, 2022)