Harari
Homo deus – Une brève histoire de l’avenir
Après un premier livre fascinant pour ce qu’il nous révèle sur notre histoire des 70 000 dernières années, Harari poursuit sa réflexion et nous propose un deuxième ouvrage, tout aussi costaud, mais cette fois, tourné vers le futur. En voici un résumé.
Introduction
Nous avons réussi à maîtriser la famine, les épidémies et la guerre. Même si nous en avons la maîtrise, ces fléaux ne sont certes pas complètement endigués. Lorsque survient une famine ou une épidémie dans une quelconque région du globe c’est souvent pour des raisons politiques.
« Prendre conscience de nos réalisations passées nous adresse un message d’espoir et de responsabilité, qui nous encourage à consentir de plus grands efforts à l’avenir. Compte tenu de l’œuvre accomplie au XXe siècle, si les gens continuent à souffrir de la famine, des épidémies et de la guerre, nous ne saurions l’imputer ni à la nature ni à Dieu. Il est à notre portée d’améliorer les choses et de réduire encore l’incidence de la souffrance. » (Yuval Noah Harari, 2015, page 30)
Aussi, à propos de la guerre, nous ne savons plus la justifier à cause de l’interdépendance où nous en sommes arrivés principalement par le commerce et plus récemment par le développement foudroyant des moyens de communication. Les yeux tournés vers le futur, l’humanité peut donc s’intéresser à d’autres projets. Cela se produit à une époque où l’économie du savoir l’emporte sur l’économie basée sur les richesses matérielles.
Deux grands projets se dessinent à l’horizon parce que de tout temps, ces projets sont présents dans la tête des humains :
Premier grand projet : vaincre la mort. Guerre totale contre la mort. À tout le moins, un allongement encore plus important du temps de vie.
Deuxième grand projet : trouver la clé du bonheur. Laquelle est autant individuelle que collective. Collective comme l’avait déjà pressentie Platon dès l’antiquité. Pour trouver le vrai bonheur, les humains doivent ralentir leur quête de sensations agréables et non pas l’accélérer. Stopper la fuite en avant des désirs résultants des développements économique et technologique.
Après une longue introduction, Harari nous résume le plan de son livre comme suit :
1. Homo sapiens conquiert le monde. Cette première partie s’intéresse à la suprématie de l’Homo sapiens sur les autres mammifères. Elle s’intéresse aussi à la relation entre l’Homo sapiens et les autres animaux pour essayer de comprendre ce que notre espèce a de si particulier et comment de nouveaux surhommes, résultats de l’avancement des sciences (particulièrement la biologie et la cybernétique), pourraient traiter les humains ordinaires.
2. Homo sapiens donne sens au monde. Comment Homo sapiens en est arrivé à l’humanisme, devenu une nouvelle religion. Quelles sont les implications économiques, sociales et politiques de ce nouveau credo.
3. Homo sapiens perd le contrôle. S’appuyant sur une connaissance plus approfondie de l’humanité et du credo humanisme, l’auteur décrit notre délicate situation actuelle et comment les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle peuvent mettre en danger cet humanisme construit depuis des siècles. Le risque étant que l’intelligence aidée par les nouvelles technologies l’emporte sur la conscience.
Première partie : Homo Sapiens conquière le monde
Tragiquement, la révolution agricole a donné les moyens aux humains de contrôler la reproduction des animaux devenus domestiques et d’ignorer leurs besoins subjectifs.
Sensations, émotions et désirs sont des algorithmes raffinés qui agissent dans les mêmes zones du cerveau de tous les mammifères. Il n’est pas évident que l’Homo sapiens a plus de valeur morale que les autres mammifères.
L’Âme humaine est un pilier de notre système juridique, politique et économique. Mais, il n’y a aucune preuve scientifique que cette âme existe chez les humains, pas plus d’ailleurs chez les autres animaux.
La conscience est un sous-produit biologiquement inutile de certains processus cérébraux. Son existence est due à des expériences subjectives à l’origine des scrupules moraux par exemple face à la torture et au viol.
La distinction entre humains et autres animaux s’explique par notre capacité à coopérer en masse et en souplesse. Cela explique aussi notre domination sur la planète terre.
À propos de cette coopération Harari ajoute cette proposition capitale pour la suite des choses : « Toute coopération humaine à grande échelle repose en définitive sur notre croyance en un ordre imaginaire : un ensemble de règles que nous croyons aussi réelles et inviolables que la gravité même si elles n’existent que dans notre imagination. » (Harari, précité 2015 pages 160 et 161)
Notre perception de la réalité est soit objective, comme la chaleur du soleil par exemple, ou subjective en fonction de nos croyances et sentiments personnels. Mais il existe un troisième niveau de réalité : « le niveau intersubjectif. Les entités intersubjectives dépendent de la communication entre quantité d’humains plutôt que des croyances et sentiments des individus. Nombre des agents les plus importants de l’histoire sont intersubjectifs. L’argent par exemple n’a pas de valeur objective. » (Harari, précité, 2015 page 162). Le billet de 20 dollars que je tiens dans mes mains n’a en lui-même aucune valeur. Sa valeur vient du fait que j’ai confiance qu’il vaut vraiment vingt dollars et que je pense que la majorité des humains pense comme moi.
Les perceptions intersubjectives ne sont pas éternelles. Il n’est pas impossible que : « Dans cent ans, notre croyance à la démocratie et aux droits de l’homme pourrait paraître tout aussi incompréhensible à nos descendants. » (Harari, précité, 2015 page 167).
Ainsi, au-delà de la biologie, pour comprendre notre futur « Nous devons aussi déchiffrer les fictions qui donne sens au monde. » (Harari, précité, 2015 page 169).
Deuxième partie : Homo Sapiens donne sens au monde
Comme vu dans la première partie, les animaux vivent dans deux réalités objectives et subjectives. Les humains y rajoutent une troisième intersubjective par exemple, l’argent, les dieux, les nations et les sociétés anonymes. Et cela ne date pas d’hier.
Dans les premières villes sumériennes il y a environ 6 000 ans on construisait des temples au nom des dieux favoris et où se côtoyaient les activités religieuses, politiques et économiques : « les dieux sumériens avaient une fonction analogue à celles des marques et entreprises modernes». (Harari, précité, 2015 page 174).
Mais la qualité de vie à l’époque des pharaons en Égypte était-elle meilleure qu’à l’époque des chasseurs-cueilleurs? Harari écrit : « Que les paysans de l’Égypte ancienne aient connu plus d’amour et joui de meilleures relations sociales que leurs ancêtres chasseurs- cueilleurs est loin d’être évident …» (Harari, précité, 2015 page 193).
La religion est une création des hommes et se définit par ses fonctions sociales. Le besoin de religion et/ou d’idéologie persiste. Selon l’auteur l’humanisme est une religion dont on pourrait dire qu’elle est de notre temps.
« Au XXIe siècle, nous allons créer des fictions plus puissantes et des religions plus totalitaires qu’à aucune autre époque. (…) Être capable de distinguer la fiction de la réalité et la religion de la science deviendra donc plus difficile que jamais, mais aussi plus vital. » (Harari, précité, 2015 page 196).
Au passage, l’auteur nous signale que la spiritualité, c’est mettre en doute et se diriger vers une destination inconnue. « Dans une perspective historique, le voyage spirituel est toujours tragique, car c’est une voie solitaire, réservée aux individus plutôt qu’à des sociétés entières. » (Harari, précité, 2015 page 206).
L’auteur site le philosophe Sam Harris : « tous les humains partagent une seule valeur suprême : minimiser la souffrance et maximiser le bonheur.» (Harari, précité, 2015 page 215). Voilà un énoncé qui se rapproche drôlement de celui de Spinoza soit, de minimiser la tristesse et maximiser la joie.
« À titre individuel, hommes de science et prêtres peuvent bien attacher une immense importance à la vérité : en tant qu’institution collective, cependant, science et religion font passer l’ordre et le pouvoir avant la vérité. Elles sont donc de bons compagnons de route. La quête inflexible de la vérité est un voyage spirituel, qui peut rarement demeurer dans les limites des establishments religieux ou scientifiques.
En conséquence, il serait bien plus exact de parler de l’histoire moderne comme de la formulation d’un deal, d’un marché, entre la science et une religion particulière : l’humanisme. » (Harari, précité, 2015 page 217).
« L’islam, le christianisme et les autres religions traditionnelles restent des acteurs importants. Mais leur rôle est maintenant largement réactif. Dans le passé, c’étaient des forces créatives. » (Harari, précité, 2015 page 297). L’humanisme, en tant que force créatrice, a pris la place, mais pour combien de temps?
Troisième partie : Homo Sapiens perd le contrôle
Dans cette troisième partie, l’auteur définit le package libéral comme étant composé de l’individualisme, des droits de l’homme, de la démocratie et du marché. Et, ce libéralisme est mis en danger : par la science du XXIe siècle; les technologies, ses applications et tout l’appareillage qui s’en suit.
La liberté véritable de choisir est une autre de ces illusions résultat de notre imaginaire collectif : « De même que le mot « âme », le mot sacré de « liberté » est un mot creux, dépourvu de tout sens discernable. Le libre arbitre n’existe que dans les histoires imaginaires que les hommes ont inventées.
La théorie de l’évolution enfonce le dernier clou dans le cercueil de la liberté. De même que l’évolution ne peut s’accommoder d’âmes éternelles, elle ne saurait avaler non plus l’idée de libre arbitre. Car si les humains sont libres, comment la sélection naturelle aurait-elle pu les former? » (Harari, précité, 2015 page 305).
Cette mise en danger du libéralisme serait le résultat de trois développements pratiques :
1. Les êtres humains perdent leur valeur économique et militaire.
2. Le système continuera d’attacher une valeur aux humains, mais seulement collectivement.
3. Le système continuera d’attacher une valeur à des individus uniques, mais ceux-ci constitueront une nouvelle élite de surhommes.
Cela parce que les humains peuvent être remplacés, du moins en partie par des supers calculateurs non organiques. Seuls les surhommes en seraient munis donc par voie de conséquence pourraient apparaître des inégalités sociales. L’apparition de ces nouvelles castes détruirait les fondements de l’idéologie libérale. Nous pourrions alors entrevoir la fin de la philosophie … au vieil adage «connais-toi toi-même» nous pourrions substituer : « la connaissance de soi par les chiffres ». (Harari, précité, 2015 page 356).
Nous ne serions plus des individus, mais nous ferions partie intégrante d’un immense réseau global. « Au fil de ce processus, il apparaît que l’individu n’est qu’une chimère religieuse. La réalité sera une grille d’algorithmes biochimiques et électroniques, sans frontières claires, et sans foyers individuels. » (Harari, précité, 2015 page 371).
L’intelligence est découplée de la conscience. Le techno-humanisme transforme l’Homo Sapiens en Homo deus. D’où la nécessité d’optimiser notre esprit pour rester dans la course contre les algorithmes non conscients. Mais nous connaissons peu de l’esprit : « De même que le spectre du son et de la lumière sont bien plus large que ce que nous autres, humains, pouvons entendre et voir, le spectre des états mentaux est bien plus large que ne le perçoit l’humain moyen. » (Harari, précité, 2015 page 379).
Les algorithmes électroniques non conscients finiront par remplacer les algorithmes biochimiques. Le progrès technique ne veut pas écouter nos voix intérieures, il veut les contrôler.
Le pouvoir politique est distancé de plus en plus par la révolution scientifique et ses applications, au point où ce pouvoir politique n’est plus en mesure d’effectuer un rattrapage significatif. Comme le vide de pouvoir ne dure pas longtemps, qui construira et contrôlera ces nouvelles structures si l’humanité n’est plus à la hauteur?
À cause de l’importance hautement stratégique que prend la masse des données (du data) se forme une nouvelle religion le «dataïsme». Dans ce Nouveau Monde apparaîtra une valeur authentiquement nouvelle : la liberté de l’information. « Si nous voulons créer un monde meilleur, la clé est de donner la liberté aux data. » (Harari, précité, 2015 page 413).
Il faudra des décennies si non un siècle ou deux pour la mise en œuvre complète du dataïsme : « la révolution dataïsme prendra sans doute quelques décennies, sinon un siècle ou deux. Mais la révolution humanisme non plus ne s’est pas produite du jour au lendemain. » (Harari, précité, 2015 page 419).
Si nous prenons suffisamment de recul, disons sur une échelle de plusieurs décennies ou d’un siècle, l’auteur propose trois processus, actuellement en marche et reliés les uns aux autres, qu’il propose de surveiller pour la suite des choses :
1. La science converge vers un dogme universel, suivant lequel les organismes sont des algorithmes et la vie se réduit au traitement des données.
2. L’intelligence se découple de la conscience.
3. Des algorithmes non conscients, mais fort intelligents pourraient bientôt nous connaître mieux que nous-mêmes.
Ces processus soulèvent trois questions cruciales que l’auteur suggère qu’elles nous restent longtemps à l’esprit :
1. Les organismes ne sont-ils réellement que des algorithmes, et la vie se réduit-elle au traitement des données?
2. De l’intelligence ou de la conscience, laquelle est la plus précieuse?
3. Qu’adviendra-t-il de la société, de la politique et de la vie quotidienne quand des algorithmes non consciences, mais hautement intelligents nous connaîtrons mieux que nous ne nous connaissons?
Page révisée le 15 octobre 2019