Sciences et spiritualité
Est-ce que la science et la spiritualité sont en complémentarité? Pour le croyant, la réponse est oui; il vit avec Dieu en permanence donc croit à la transcendance. Pour l’athée, la réponse est non; il vit en permanence dans l’immanence. Pour l’agnostique que je suis, jusqu’où l’aventure spirituelle est-elle concevable? Cette question est abordée dans la section « Spiritualité » sous l’onglet « Philosophie ». Mais j’aimerais ici apporter quelques précisions compte tenu de l’importance du sujet du moins, à mes yeux. Aborder ce sujet nous place d’une certaine manière en équilibre instable. Le risque est grand de basculer dans la croyance. J’aborde donc cette discussion ayant en tête cette mise en garde.
D’entrée de jeux, il est important de se fixer les idées sur ce que nous entendons par science et spiritualité. Pour la science, il n’y a pas d’ambiguïté, je retiens la définition du dictionnaire Antidote : « Ensemble cohérent de connaissances relatives à des faits ou des phénomènes obéissant à des lois et vérifiées par des méthodes expérimentales ». Du côté de la spiritualité, les risques de confusions sont grands. Comme déjà utilisé ailleurs sur ce site web, je retiens la définition que nous propose André Comte-Sponville : « Qu’est-ce que la spiritualité? C’est notre rapport fini à l’infini ou à l’immensité, notre expérience temporelle de l’éternité, notre accès relatif à l’absolu » (Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme p.216) et j’ajouterais notre rapport avec l’inconnu, avec le mystère.
Évidemment, le chercheur scientifique est continuellement à la frontière entre le connu et l’inconnu. Il souhaite élucider un fragment de cet inconnu. Penser au-delà de la méthode scientifique est certes hasardeux, mais l’exercice peut-il lui être acceptable et fructueux? Il l’est, me semble-t-il. Puisque, c’est là entre l’immanence et la transcendance que se situe l’intuition, l’inspiration, la rêverie; c’est là que notre sensibilité éveille notre conscience d’être. Et ce évidemment dans la mesure où ce que nous imaginons peut être par la suite vérifié expérimentalement. Voyons ou revoyons ce que plusieurs grands penseurs, non-croyants, ont à nous dire au sujet de l’interface entre l’immanence et la transcendance :
Luc Ferry : il est rationnel que la philosophie contienne de l’irrationnel.
Carl Jasper : son excursion dans la transcendance ne lui permet pas d’admettre l’existence d’un Dieu révélé. Il s’agira pour lui, à la limite, d’un dieu caché, d’un dieu philosophique.
Noha Harari : la conscience un grand mystère; l’esprit une énigme dont nous ne savons pas grand-chose. La conscience et l’esprit devraient être à ses yeux deux domaines de recherche tout aussi importants que la biotechnologie et la cybernétique.
Bertrand Russell : nous pouvons éprouver une « émotion mystique » qui se caractérise par l’amour de l’humanité. (Réflexion rapportée par Daniel Baril dans Devoir de Philo du journal Le Devoir du week-end 27 – 28 octobre 2018).
Bien qu’il s’agisse de croyants chacun à leur manière Frédéric Lenoir, Einstein et Teilhard de Chardin nous proposent des énoncés intuitifs non scientifiquement fondés, mais qui demeurent, à tout le mois, inspirants :
Frédéric Lenoir : « Puisque Dieu est amour, puisque telle est sa définition même, tous ceux qui aiment, qu’ils soient croyants ou non, vivent dans la vérité. » (Lenoir, 2007, page 66)
Albert Einstein : « La plus belle expérience est celle du mystère; c’est la source de tout l’art et de la science. »
Teilhard de Chardin : « Constitution spirituelle et synthèse matérielle ne sont que les deux faces ou parties liées d’un même phénomène » et « l’Amour est la plus universelle, la plus formidable, la plus mystérieuse et des énergies cosmiques. »
Tous ces grands penseurs ont subi l’appel du mystère et se sont acharnés à exprimer cette expérience unique. Tous nous éclairent et nous encouragent à explorer ce qui, à ce jour, nous dépasse.
Cette réflexion, appuyée par ces grands penseurs, nous amène à conclure, sans l’ombre d’un doute, qu’il y a complémentarité entre science et spiritualité. Comment alors pourrait se poursuivre l’aventure spirituelle sans se perdre en fabulation?
Elle peut se continuer, me semble-t-il, en suivant 3 chemins :
1) La spiritualité étant toujours située à la frontière entre la science et le mystère, dans notre cheminement, il nous faut prendre en compte les avancés scientifiques. Parmi les plus déterminants notons : les recherches sur l’évolution depuis le Big Bang jusqu’aux phénomènes sociaux; la physique quantique qui s’intéresse à l’infiniment petit; et, l’astrophysique qui s’intéresse à l’infiniment grand.
2) les recherches sur le cerveau, l’esprit et la conscience comme le suggère Noah Harari dans 21 leçons pour le XXIe siècle. En particulier, les recherches sur l’esprit pourraient s’inspirer des méthodes de méditation orientales.
3) La réflexion que nous propose la hiérarchie des sentiments amoureux (voir la Section « Première synthèse et discussion » sous l’onglet « Philosophie ») et « l’amour- énergie » tel que proposé par Teilhard de Chardin. À tout le moins, comme point de départ de cette recherche, nous pouvons constater la concentration de toutes les énergies biochimiques de notre corps lorsqu’apparait la manifestation de l’amour humain.
Ces chemins évidemment se croisent de temps à autre et finalement converge puisque la vérité est une et non pas multiple.
De plus, bien que ce ne soit pas ici le propos, la spiritualité (toujours sans oublier la définition retenue ci-devant) est aussi source d’inspiration artistique. D’ailleurs, comme mentionné sur ce même site sous l’onglet « Philosophie » nous ne pouvons élaborer une philosophie de vie viable sans reconnaitre que le « Beau » est un des quatre piliers sur lesquels elle repose. Les trois autres étant le « vrai », le « bien » et « l’harmonie ». La beauté du monde nous rappelle continuellement que le« beau » est une fenêtre qui s’ouvre sur la spiritualité.
Je peux comprendre que ce « flirt » avec la transcendance peut agacer certains puristes rationalistes. À ceux-là, je ne peux que rappeler ma position d’agnostique. Vivre ainsi avec le doute est certes un état d’être inconfortable, néanmoins inspirant.
(Rééditée et enrichie le 20 décembre 2021)