Teilhard de Chardin
Le phénomène humain, partie 2
Le point Oméga est le résultat de sa vision de croyant :
« Exactement, et si bien, le point Oméga, que jamais sans doute je n’aurais osé de celui-ci envisager ou formuler rationnellement l’hypothèse si, dans ma conscience de croyant je n’en avais trouvé, non seulement le modèle spéculatif, mais la réalité vivante.» (Teilhard, précité, p. 296)
Teilhard précise ce qu’il entend par Oméga. Il y voit quatre attributs :
- irréversibilité : dans un monde en Évolution, l’Esprit ne peut disparaître donc ne peut s’arrêter;
- personnalité : la convergence dans Oméga ne fait pas disparaître la personne puisque c’est l’Amour énergie qui nous permet d’avancer et « l’Amour ne peut naître et se fixer à moins de rencontrer un cœur, un visage. » (Demoulin, Pierre Teilhard de Chardin Je m’explique, 2005 p. 105);
- autonomie : Oméga échappe au temps et à l’espace;
- transcendance : Oméga devient hors d’atteinte de l’expérience et de la pensée humaine.
Plus qu’un attribut d’Oméga, l’Amour énergie sous-tend l’Évolution:
« L’Humanité ; l’Esprit de la terre ; la Synthèse des individus et des peuples ; la Conciliation paradoxale de l’Élément et du Tout, de l’Unité et de la Multitude : pour que ces choses, dites utopiques et pourtant biologiquement nécessaires, prennent corps dans le monde, ne suffit-il pas d’imaginer que notre pouvoir d’aimer se développe jusqu’à embrasser la totalité des hommes et de la terre ? » (Teilhard, précité p. 84 et 85)
Et il réitère que, selon lui, l’homme a son avenir entre ses mains :
« Et, ce qui est plus grave encore, nous nous apercevons que, dans la grande partie engagée, nous sommes les joueurs, en même temps que les cartes et l’enjeu. Rien ne continuera plus, si nous quittons la table. Et rien non plus ne peut nous forcer à y rester assis. Le jeu en vaut-il la peine? Ou sommes-nous des dupes?… Question à peine formulée encore au cœur de l’Homme, habitué depuis des centaines de siècles à marcher. Mais question dont le simple murmure, déjà perceptible, annonce infailliblement les prochains grondements. Le dernier siècle a connu les premières grèves systématiques dans les usines. Le prochain ne s’achèvera certainement pas sans des menaces de grève dans la Noosphère. » (Teilhard, précité p. 230)
Cette citation nous fait penser que Teilhard a été comme un prophète de la montée de la contestation par l’intégrisme musulman face à l’Occident.
Teilhard ne veut pas que son œuvre laisse au lecteur une impression d’optimisme naïf. Dans le dernier chapitre du Phénomène humain, il rappelle que le Mal est présent dans le sillage de l’Évolution. « D’une manière ou de l’autre, il reste que, même au regard du simple biologiste, rien ne ressemble autant que l’épopée humaine à un chemin de croix.» (Teilhard, précité, p. 318)
Il faut se rappeler cependant que certains éléments du bâti teilhardien ne résistent pas au test de la science, du moins, à ce jour. Sur ce point, voici comment s’exprime Neil Turok :
« […] par exemple, la formation des cellules et de la vie ainsi que l’émergence de la conscience dépassent de loin notre compréhension scientifique, tout comme l’avenir évidemment. Sa pensée est néanmoins intéressante, du fait qu’elle voit dans l’Évolution un potentiel de progrès vers une complexité dans la substance physique de l’univers. Ce potentiel devient de plus en plus évident alors que le progrès humain rendu possible grâce à la technologie et à la collaboration l’emporte sur la survie des êtres les mieux adaptés sur le plan biologique comme moteur de l’Évolution. Ainsi que l’écrit Huxley dans son introduction à la version anglaise du Phénomène humain, « Nous qui formons l’humanité, sommes dépositaires des possibilités de l’immense avenir de la Terre et pourrons de plus en plus les réaliser, à condition d’augmenter notre savoir et notre amour. Cela me semble l’essence du Phénomène humain. » » (Turok, 2014 p. 201 et 202)
En effet, dans une tentative d’explication de l’émergence de la conscience, Teilhard imagine l’atomisation de l’esprit, tout comme la matière. Il s’agit là d’une avancée contenue dans le Phénomène humain également en attente d’une confirmation scientifique.
Comme complément à cet exposé sommaire de l’œuvre de Teilhard et afin de nous aider à mieux apprécier le côté plus spirituel de l’œuvre, nous soutirons d’un court essai de Philippe Gagnon, une citation et deux remarques :
« Ce qui m’attire, c’est la construction d’une série liée de phénomènes s’étendant, sous l’action d’un processus évolutif fondamentalement unique, du pôle spirituel au pôle matériel de l’expérience. » (Gagnon, 2002 p. 12)
Teilhard était donc favorable à l’idée qu’une certaine forme de déterminisme régisse l’Évolution, en conformité avec sa foi en Dieu.
Philippe Gagnon propose que Teilhard se classe parmi les plus grands de nos semblables :
« Nous avons suggéré à quelle famille d’esprits Teilhard devrait être rattaché, c’est celle que nous pourrions tout autant associer à un Jean-Sébastien Bach, un Anton Bruckner ou un Vincent Van Gogh, ceux pour qui il ne fut rien de profane qui n’ait été simultanément sacré. » (Gagnon, précité, p. 32)
Il propose aussi que Teilhard :
« […] se refuse à en appeler trop vite à un «surnaturel » qui agirait comme bouche-trou des diverses ignorances et, à la manière du Dieu qui ne cesse de grandir à mesure que nous en approchons, il voit dans le mystère une inépuisable sollicitation à comprendre et à se donner à la recherche d’une manière adoratrice, jusqu’à s’y oublier complètement soi-même. » (Gagnon, précité, p. 42 et 43)
Cette observation est certes très pertinente et nous rappelle à quel point Teilhard a voulu pousser, à l’extrême limite, sa conception scientifique du monde avant de s’ouvrir à la spiritualité. Ceci rejoint la mise en garde formulée au chapitre «L’éclairage de la science» (voir sous ce même onglet, la section «1 – Spiritualité») Oui, s’ouvrir à la spiritualité, mais avec toute la clairvoyance possible.
(page modifiée le 25 décembre 2019)